En ville

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Intriguant mais manquant d´affirmation, ce premier long métrage de fiction d´une vidéaste reconnue laisse sur sa faim.

Premier long métrage de fiction de la vidéaste Valérie Mréjen, après plusieurs courts et documentaires, En ville marque un éloignement assez étonnant du ton et des procédures qui ont prévalu dans son travail. Souvent fondé sur l’écoute et le recueil du témoignage, vidéos (présentes dans les collections d’importantes institutions artistiques telles que le Centre Pompidou à Paris) et films de Mréjen – on avait aimé le beau Valvert l’an passé – marquaient par une distance et un recul, éventuellement critique mais jamais ironique, vis-à-vis de la parole recueillie. En ville, coréalisé avec l’auteur et philosophe Bertrand Schefer, s’engage au contraire dans une hésitation entre l’adhésion totale et la distance critique à ses situations. A tel point qu’il est difficile de voir émerger un réel regard, voire même un réel engagement dans son propos.
 
La seule certitude à la vision d’En ville est sa volonté de faire un portrait, ou plutôt son désir de la tentative d’un portrait. Bertrand Schefer le qualifie ainsi de « rêverie sur la fabrication d’un portrait » (1). Le film se centre sur Iris, jeune fille entre deux âges (Lola Créton aussi en proie aux questionnements de fin d’adolescence dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve), deux moments de sa vie, un peu paumée et en quête de son avenir. Sa rencontre inattendue un été avec un photographe plus âgé (Stanislas Merhar) la forcera à aborder de front certaines questions qu’elle élude.
Au premier abord, En ville peut apparaître comme la mise en image des pratiques de Valérie Mréjen vidéaste : l’artiste/le photographe qui rencontre un modèle/un sujet pour en produire le portrait, en enregistrer l’image. Sauf que le travail de Mréjen a sans doute moins à voir avec cette notion de portrait qu’avec l’ambition de recueillir la parole et d’en étudier les systèmes d’apparition et de construction. Le film marque ainsi un réel écart avec ses précédentes productions. Là où jusqu’alors, elle était la réceptrice d’une parole étrangère (à l’exception du court La Défaite du rouge-gorge, 2001), elle se retrouve ici à devoir la produire. L’un des écueils du film se situe à ce niveau. Si les premières séquences peuvent séduire en tant que mise en image critique de certaines situations sociales (l’hypocrisie automatique et blasée de la drague en boîte caractérisée moins par un intérêt réel pour l’autre que son utilisation en tant que pur objet sexuel), le film semble vite davantage subir les clichés qu’il ne les désamorce. Les réalisateurs multiplient alors les scènes attendues sur l’adolescence, le sexe, voire un aspect très « trois pièces cuisine » d’un certain cinéma d’auteur français. Les mots se font très superficiels, les personnages parlant comme des livres ou pire tel un thérapeute à son patient, donnant au film le ton d’un test de magazine féminin. Si recul il y a sur cette dimension, il n’est malheureusement pas assez affirmé. Le personnage secondaire de l’ami secrètement amoureux d’Iris, dans sa lucidité assez douloureuse, pourrait incarner cette alternative. Lui ne parle pas comme les livres, il les cite directement.
 

De la même manière, le discours sur le portrait semble passablement mince et échaudé. En ville est à la fois tentative de portrait et constat de son impossibilité, film de situation et commentaire sur ses situations. Logiquement, le photographe ne parvient pas à faire le portrait d’Iris. Il n’en saisit que la surface et tente de l’inonder de question le temps d’une scène pour l’empêcher de se dérober à lui. Par moments, le questionnement rejoint celui d’Antonioni. Si les réalisateurs citent volontiers la scène finale de L’Eclipse comme référence, c’est plutôt à Blow-Up que le film fait penser, mais sans réellement en avoir l’ancrage théorique. Là où Blow-Up s’offrait comme la pure mise en scène d’une impossibilité d’une manière finalement assez malicieuse, En Ville ne parvient à se défaire d’un engourdissement latent qui ne propose finalement rien de mieux qu’une gêne palpable quant à sa nécessaire résolution.

 
Sans être vraiment un ratage total, En ville pâtit d’un manque d’affirmation de ses enjeux. Il reste dans un entre-deux vague, une hésitation molle qui annihile toute prise de position. Or il n’a ni la force formelle, ni l’ambition narrative pour parvenir à faire de ce non choix un véritable parti pris. Intriguant dans son approche, mais limité par ses postures, on espérait bien plus du regard de Mréjen. A charge de revanche.

(1) Propos recueillis lors de la présentation du film au Forum des images à Paris, le 26 mai 2011.

 

Titre original : En ville

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Durée : 75 mn


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