Eija-Liisa Ahtila, The Annunciation

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Beau cadeau de fin d´année, la Galerie Marian Goodman présente « The Annunciation », la nouvelle installation vidéo de l´artiste finlandaise Eija-Liisa Ahtila.

Qui a dit que le cinéma devait nécessairement se limiter à un seul écran ? Personne. Pourtant la majorité de la production cinématographique se contente d’un seul écran et du cadre de la salle obscure. Passées les expériences de quelques pionniers dans les années 1920 (le Napoléon d’Abel Gance reste l’exemple le plus connu), le cinéma traditionnel ne s’est que très peu intéressé à la question. C’est loin d’être le cas du cinéma expérimental et de l’art contemporain où les expériences de multi-écrans sont aussi nombreuses que variées.
La finlandaise Eija-Liisa Ahtila fait partie des artistes émergeant dans les années 1990 qui, profitant d’une histoire riche et des expériences de leurs aînés, ont travaillé à redéfinir le territoire et l’esthétique des installations vidéo. Elle appartient au genre un peu fourre-tout qui a pu être qualifié de cinéma d’exposition. Comme nombre de ses collègues, Eija-Liisa Ahtila réalise des films dont la terre d’accueil s’avère le musée ou la galerie plutôt que la salle de cinéma (1). Ce qui la distingue peut-être le plus, c’est un attachement particulier à la narration. Son travail est en effet plus immédiatement narratif que celui de bon nombre d’artistes de la même génération. Sur plusieurs écrans (souvent trois ou quatre), placés côte à côte formant une frise ou sur des murs opposés, le récit se développe et se réalise dans l’espace.
Etonnamment, sa dernière installation s’attaque à un sujet traditionnel de l’histoire de l’art, celle de la peinture plus particulièrement : l’Annonciation. Le choix de ce thème surprend chez une artiste qui, sans jamais refuser le symbolique, avait plutôt l’habitude d’explorer les tensions humaines et les fêlures intérieures. L’Annonciation est pourtant un motif qui semble fait pour une installation multi-écrans. Dans cet épisode biblique, l’archange Gabriel vient annoncer à Marie sa maternité divine. L’iconographie assez codifiée implique une séparation entre l’espace dans lequel se tient la Vierge et celui où se trouve l’archange. Colonnes, meubles, baldaquins et objets divers ont servi à matérialiser ces deux espaces disjoints. Ici cet espace s’incarne naturellement par le vide qui sépare les écrans : l’ange sur l’un, Marie sur l’autre, alternativement face à face ou côte à côte, ne se rencontrant que par l’entremise de l’installation, la diffusion simultanée des images sur les écrans.

« Il en découle la conviction générale et durable qu’il doit n’y avoir qu’un seul espace et un seul temps pour tous les êtres vivants » Jakob von Uexküll

The Annunciation a été tourné à l’hiver 2010 dans le parc naturel enneigé d’Aulanko au Sud de la Finlande. Le film présente la préparation du tournage de l’Annonciation et l’épisode lui-même. Comme pour une pièce de théâtre, on voit les acteurs répéter leurs rôles, tester des postures et celle qui interprète l’archange s’essayer à la voltige, flottant dans les airs solidement harnachée devant un fond vert. La reconstitution de l’Annonciation est précédée d’un monologue issu d’un texte du biologiste et philosophe russe Jakob von Uexküll (Milieu animal et milieu humain, 1957) s’interrogeant sur les possibilités de l’existence d’autres espaces-temps parallèles et contigus au nôtre. Moins que la référence religieuse, ce qui semble intéresser Eija-Liisa Ahtila dans l’Annonciation, c’est la rencontre de deux espaces-temps différents, non destinés à se rencontrer. L’Annonciation – et ses très nombreuses représentations – vaut alors comme l’attestation millénaire de l’existence et de la reconnaissance d’espaces-temps différents coexistant. Le miracle est alors celui de la rencontre entre ce qui d’habitude ne se croise pas.

 

 
 
L’installation revêt une simplicité et une douceur qu’on avait jusqu’alors peu senties dans le travail de l’artiste. Avec un sujet à la charge émotionnelle relativement faible, l’attention se porte plus directement sur la construction de l’œuvre. Il est beaucoup question de passages dans The Annunciation. Avec trois écrans, les changements de lieux peuvent être moins brusques qu’un seul. Le passage d’un lieu à un autre se fait ainsi graduellement, écran par écran : le nouvel espace apparaît sur l’un tandis que les deux autres sont encore dans l’ancien. Chacun des lieux de l’installation se fait peu à peu recouvrir par d’autres, l’ancien contaminant le nouveau. L’artiste cherche de plus souvent à relier les espaces de manière thématique. Les ailes de l’archange mèneront à une église. Le pigeon errant dans l’église sera redoublé par celui de l’atelier de répétition…
Eija-Liisa Ahtila semble chercher les moyens du passage d’une représentation syncrétique de l’Annonciation à sa traduction cinématographique. Au-delà des seules images en mouvement qui se déroulent dans le temps, l’artiste paraît vouloir intégrer la perspective (technique de représentation qui naît et fonde la Renaissance, et apparaît donc dans la plupart des Annonciations peintes) à son installation. Profitant des spécificités du cinéma, Eija-Liisa Ahtila fait de la construction de son film non pas une mais des perspectives qui nous portent lentement vers l’Annonciation. La perspective est alors tout autant sujet, motif et technique de construction. Préparant doucement le finale, elle nous mène, après l’Annonciation, vers l’extérieur : Marie promène un âne dans une forêt où s’annonce tout doucement le printemps.

(1) Eija-Liisa Ahtila retravaille parfois certaines de ses installations sous la forme d’un film destiné à la diffusion en festivals.

Eija-Liisa Ahtila, The Annunciation
Exposition du 4 décembre 2010 – 8 janvier 2011
Galerie Marian Goodman
79 rue du Temple, 75003 Paris

Images courtesy Galerie Marian Goodman


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