DVD : RKO, douzième vague de classiques

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Nouvelles sorties schizophréniques de la RKO : << stay away from Robert Mitchum... >>*

Le coffret DVD sorti à Noël par les éditions Montparnasse nous avait déjà montré la facette la plus glorieuse des studios RKO, producteurs, entre autres, du mythique Citizen Kane d’Orson Welles, des frasques du non moins légendaire gorille soupe au lait King Kong, des inoubliables ballets froufrouteux de Ginger et Fred, et autres westerns de John Ford. La RKO, usine à chefs-d’œuvre donc, mais aussi usine à acteurs, puisque à partir de 1938, George J. Schaefer nommé nouveau président des studios fera en sorte de fidéliser les clients les plus bankable : Cary Grant, Bela Lugosi, Boris Karloff, ou Robert Mitchum. C’est oublier la grosse production de films noirs et westerns de série B dont la dernière salve éditée par les éditions Montparnasse nous donne quelques bons exemples, toutefois un peu plus ambigus qu’ils n’y paraissent. Archétypes du film classique dans le sens où chaque plan, chaque réplique, sont conçus pour qu’on ne s’y perde pas (limpidité des cadrages et du montage, dialogues explicatifs, …), Nid d’espions (Richard Wallace, 1943) et Pris au piège (1945) possèdent malgré tout leur part de trouble… Ces deux polars d’espionnage cachent bien leur jeu.


Nid d’espions

Le premier, gros succès des studios à sa sortie, témoigne de l’entrée en guerre et en propagande des États-Unis. John Garfield y incarne un ancien prisonnier de guerre, moite de ses réminiscences de torture à l’espagnole… Parti à la recherche des meurtriers de son ami Louie Lepetino, il devra démanteler un nid de serpents nazis. La mise en scène lorgne sagement vers l’épouvante folklorique – éclats d’accents germaniques dans la pénombre, emblème des Borgia sur les verres à vin, et mystérieux boiteux à l’appui. On est surtout surpris d’entendre évoquer les camps de concentration : contre toute attente, le film noir se transforme bien vite en ode à la résistance. À Buenos Aires, pendant ce temps-là, les collabos courent toujours et font fortune aux dépens de Dick Powell, héros tourmenté et avide de vengeance dont la cicatrice au crâne matérialise la fêlure. Même sujet pour Pris au piège, mais quelques années plus tard, la propagande a laissé la place à la dépression et à la culpabilité des massacres et du travail à moitié fait. Son réalisateur, Edward Dmytryk, verra d’ailleurs sa carrière brisée par la Chasse aux sorcières. Idem pour l’acteur John Garfield… Deux films finalement frappés par une toute autre malédiction politique.

Mort à la guerre, le mari de Connie ne reviendra plus non plus, mais, cette fois, le tragique est prétexte à une douce comédie sentimentale. Un mariage compliqué (Don Hartman, 1949) vise surtout à redorer le blason du bad boy Robert Mitchum, arrêté plus tôt pour possession de marijuana et dont l’image publique pâtit un peu de ses mœurs légères. On anticipe donc un plaidoyer de sainte-nitouche pour une vie de famille propre et tranquille… et bien non ! Certes, c’est un Robert Mitchum transfiguré qui s’offre ainsi à nos yeux ébahis : entouré de nounours, il nourrit les écureuils et parle aux otaries. Le LOVE l’emporte largement sur le HATE, dans ce film où l’acteur, d’habitude abonné au film noir, est aussi justement employé pour son potentiel goguenard de mec costaud, plutôt marrant et franc du collier.
 
 


Un mariage compliqué

Bousculant à coup de psychanalyse – de comptoir, mais pertinente – la mignonne Janet Leigh, il lui redonne goût à la vie et à la prise de risque. On pense très fort à La Vie est belle (1946) de Capra, lorsque Mitchum explique au petit Timmy qu’il faut toujours viser un peu plus haut que la Lune si on veut vraiment exaucer tous ses vœux. Mais les dialogues n’ont pas tous une tournure aussi convenable et naïve, notamment lorsque le fiancé officiel de Connie déclare forfait : « je sais bien qu’en tant qu’épouse, tu serais compétente et attentive […] mais j’ai une idée terrible en tête. Je me demande si quelque part, il n’y aurait pas une fille qui pourrait m’aimer vraiment. Même si c’est une fausse blonde qui se fiche de ménage et me nourrit de conserves. » L’idée paraît impensable alors que la vie jusque-là rangée de Connie et de son Timmy ressemblait à s’y méprendre à une publicité pour les Corn Flakes.

C’est donc une fournée de films à la double personnalité plus ou moins flippante que les éditions Montparnasse nous invitent à découvrir, à l’image de La Femme au revolvers (Allan Dwan, 1952), interprétée par la chouchoute d’Howard Hughes (le dernier président des studios), une Jane Russel couillue, mi-pin-up mi-cow-girl, à faire pâlir de jalousie les frères Dalton. La jaquette du DVD promet « le plus sexy des westerns » : c’est, bien sûr, à replacer dans le contexte historique. Une chose est sûre : c’est bel et bien du grand kitsch, doublé d’une belle leçon féministe d’escroquerie. Du troupeau de paons qui s’agitent autour d’elle, et qui se castagnent comme des coqs, c’est évidemment Belle Star la plus futée.

« Squaw toujours donner soucis »

On méditera cet élan de sagesse devant les films, disponibles à la vente depuis le 23 août. Pour l’occasion Citizen Kane, de Welles, et Elle et lui, de Leo McCarey, font leur entrée en vente séparée dans la collection des « Classiques de poche RKO ». On ne manque pas de saluer l’initiative assidue des éditions Montparnasse et l’intelligence de cette collection (pas chère) : le livre de poche a permis la démocratisation des classiques de la littérature, pourquoi pas le DVD ?
 
 

* chanson d’April March, issue de l’album Lessons Of April March.


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