Dressé pour tuer (White Dog, 1982)

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Samuel Fuller ausculte le racisme aux Etats-Unis à travers l´histoire d´un chien blanc » entraîné à attaquer les Noirs. »

Dernier film tourné à Hollywood par Samuel Fuller avant son exil en France, Dressé pour tuer succède à Au-delà de la gloire (1980), film de guerre autour de la première division d’infanterie américaine, la "Big Red One". Cinéaste qui n’aura eu de cesse de scruter les horreurs dont l’homme est capable, Fuller réalise avec Dressé pour tuer (White Dog en version originale) une réflexion autour du racisme ordinaire aux Etats-Unis, et la manière dont la haine est peut-être insoluble et incurable. On y suit un chien blanc donc, recueilli dans les collines de Los Angeles par une jeune actrice, Julie. Chien blanc par son pelage, mais aussi par conviction de son ancien maître, il s’avère vite que l’animal a été entraîné à attaquer les Noirs : Julie le confie à Keyes, un dresseur qui va s’évertuer à le “déprogrammer” pour qu’il redevienne pacifique. Adapté du roman éponyme de Romain Gary, qui l’avait écrit après que sa compagne Jean Seberg eut vécu une histoire similaire, Dressé pour tuer, très controversé lors de sa sortie aux Etats-Unis (le film fut très vite retiré des salles et ne ressortira en DVD que grâce à la collection Criterion en 2008), s’il n’est pas le premier à s’attaquer au racisme, est sans doute le seul à en avoir fait un personnage à part entière.

En effet, le chien blanc incarne bien le racisme lui-même, haine solidement ancrée et apprise dès le plus jeune âge, que tous les efforts du monde auront bien du mal à défaire. Keyes l’explique à Julie : le propriétaire du chien, dès sa naissance, aura sans doute payé un “Noir ivrogne” à le tabasser, lui inculquant dès lors un principe de corrélation entre la couleur de la peau et un danger à venir. Très transparent dans sa théorie, Dressé pour tuer se déroule à Los Angeles, où les acteurs et célébrités se font régulièrement prendre en photos avec plusieurs chiens : “des locations”, selon Julie, affichant d’emblée un cynisme bien senti qui semble dire que l’affection, à Hollywood et de manière générale, n’est souvent qu’affaire de façade. La force de Fuller est de faire ressentir la grande disparité entre l’amitié (du chien avec Julie) et la haine (le chien envers les Noirs), fusse sur un mode parfois trop binaire : les gros plans sur les grands yeux pacifiques du chien contre les zooms sur ses babines retroussées, toutes dents dehors et canines prêtes à mordre.

 

Il faut replacer Dressé pour tuer dans son contexte : au début des années 1980, les relations entre Noirs et Blancs n’étaient pas aussi développées qu’aujourd’hui (par ailleurs, les récents événements du Missouri et de New York prouvent que la question est toujours loin d’être réglée), et le sujet même du film portait à controverse. Nous sommes juste après les meurtres “d’enfants d’Atlanta”, quand, entre 1980 et 1981, vinqt-quatre enfants noirs sont retrouvés morts. C’est pourquoi la production appelle sur le tournage deux conseillers Afro-américains chargés de donner leur sentiment sur la portée du film : l’un ne trouvait pas le film raciste, l’autre oui. La Paramount décide alors que Dressé pour tuer est trop scandaleux, et ne le sort que quelques semaines dans un très petit nombre de salles avant de le remiser à jamais (aux Etats-Unis, le film étant par exemple sorti au cinéma en France). Cette décision affecta beaucoup Samuel Fuller qui quitta alors les Etats-Unis pour la France, où il tournera encore deux films, Les Voleurs de la nuit (1983) et Sans espoir de retour (1989), et ne travaillera plus jamais à Hollywood.

Car le cinéaste, conscient des enjeux, avait apporté des modifications au roman d’origine, retaillant par exemple Keyes en dresseur soucieux de désentraîner le chien à attaquer les Noirs, mais non pas à l’entraîner à nouveau à attaquer, cette fois-ci, les Blancs. A la vision du film aujourd’hui, l’idée qu’il puisse y avoir une ambivalence quant à un supposé racisme ne vient même pas à l’esprit, tant Samuel Fuller est limpide dans ses intentions. Il n’y a qu’à voir cette séquence où, après que le chien a fini par tuer un homme, Julie s’offusque de ce que le dresseur ne l’ait pas abattu immédiatement, elle qui était pourtant la seule à croire en la possibilité d’une rédemption. Ou encore la scène où le propriétaire du chien, accompagné de ses deux très blanches petites-filles, vient réclamer de récupérer la bête : confronté à Julie, il sort vite de ses gonds, s’affirme fier de l’avoir dressé ainsi, et devient d’emblée le personnage le plus haïssable du film. A tout prendre, Dressé pour tuer serait plus naïf qu’autre chose dans sa volonté toute compréhensible de ne surtout pas, justement, apparaître problématique.

 

Reste la verve de Samuel Fuller, dont le film est, aussi, un formidable thriller canin, où le moindre gros plan d’une main noire qui s’avance vers la gueule du chien provoque la plus grande des appréhensions, et où l’on brûle de savoir si le dressage pourra réussir ou non. A la question de savoir s’il existe une cure au racisme, et si on peut même le dompter, Fuller ne répond qu’à moitié, dans un final impressionnant qui élève son film bien au-delà de la simple série B.

 


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