Don Giovanni, Naissance d’un opéra

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Sur les traces de Da Ponte, Saura signe un film-opéra : beau, emphatique, mais aussi empâté. Une déception certes, mais aussi beaucoup de qualités.

De l’opéra filmé Le Jardin des délices (1970) à une libre adaptation de Carmen (1983), de El Amor brujo (1986) à sa plus récente Salomé (2002), la « grande musique » parcours la filmographie de l’espagnol Carlos Saura, plus connu en France pour Cria Cuervos (Grand Prix du Jury à Cannes en 1976). C’est donc sans réelle surprise mais avec une grande curiosité que l’on attendait sa vision fantasmée de la naissance de Don Giovanni, opéra fascinant dont la création confère déjà au mythe. Pour les faits, Don Giovanni est un opéra de Mozart en langue italienne sur un livret de Lorenzo Da Ponte, inspiré du mythe de Don Juan et joué pour la première fois à Prague en 1787. C’est sur ce canevas de base qu’intervient Saura entre transcription des faits, fascination musicale et imagination historique dans un film où la musique et le chant sont au premier plan, avec un casting essentiellement constitué de chanteurs, souvent plus intéressant pour ses capacités vocales que d’interprétation dramatique.
 
Le film s’attache à la figure haute en couleurs de Lorenzo Da Ponte, personnage romanesque au possible. Juif converti, prêtre vénitien à la vie libertine proche de Casanova mais aussi auteur de pamphlets contre la corruption de l’Eglise, le jeune homme est chassé de la Sérénissime et part à Vienne. Les décors très présents rendent l’ambiance fardée et ampoulée de la capitale austro-hongroise à la fin du XVIIIème siècle. Tourné en studio, les extérieurs apparaissent soit sous forme de peintures aux allures de rideau de théâtre pour une topographie générale, soit comme des photographies agrandies à l’échelle des bâtiments pour les scènes de quartier. Ce décor en deux dimensions fait du premier plan une scène pour les personnages et logiquement la source première d’inspiration pour le librettiste. Entre décor de théâtre et diorama, il n’y a donc dans le film aucune séparation entre vie supposée réelle, imagination par Da Ponte des scènes de l’opéra et répétition ou représentation de l’œuvre. Les trois moments sont liés dans l’image. L’opéra surgit donc du quotidien, en est une réminiscence (la belle séquence vénitienne du chant de Casanova devant la statue du Commandeur  qui  se retrouve comme l’un des moments clef de l’opéra) et l’on passe en un plan de la ville à la scène par l’apparition de la création en arrière-plan où la projection du librettiste dans l’opéra.
 
 
Et c’est un peu là que le film déçoit. Autant on accepte l’artificialité des séquences de l’opéra, précisément parce qu’elles relèvent de l’emphase de la création, autant les scènes sur la vie personnelle des protagonistes sombrent dans le cliché et la lourdeur : Mozart, l’artiste borné dont la perruque ressemble étrangement à la chevelure de la rockeuse de diamant et que la création tue à petit feu, Da Ponte coureur de jupon qui veut se racheter une conduite avec une blanche et pure jouvencelle, un final d’une cucuterie étonnante chez Saura… Si l’on conçoit tout à fait la volonté de déplacer le lyrisme des créatures scéniques à leurs créateurs, le résultat n’est que décevant. Si le passage de la vie réelle à l’opéra est très fluide, Saura sépare trop les deux univers. Une confusion totale entre ville et scène aurait pu légitimer une exaltation générale du sentiment. Mais ici, l’emphase n’en apparaît que plus mièvre et surjouée. Exception faite du personnage d’Adriana Ferrase, cantatrice jalouse, emmerdeuse de génie, adepte du scandale à la chocolaterie, l’actrice Ketevan Kemoklidze magnifie le personnage et parvient à lui donner une consistance qui fait défaut aux autres (Da Ponte et Mozart notamment).
 
Don Giovanni, naissance d’un opéra ne convainc pas totalement, mais on ne peut que saluer la virtuosité d’un Saura formidable créateur d’images et de son fidèle directeur de la photographie (c’est leur sixième collaboration), Vittorio Storaro (oscarisé entre autre pour Apocalypse Now) dont le talent excelle à chaque plan. Reste aussi le plaisir durant ces 127 longues minutes de se replonger avec délectation dans la musique de l’un des plus incroyables opéras.

Titre original : Io, Don Giovanni

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Durée : 127 mn


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