Doc & Doc au Forum des Images : << Princes des rues >>

Article écrit par

Alerte aux cafards ce mardi 13 novembre au Forum des Images.

En écho au cycle « Que fait la police ? » proposé cet automne par le Forum des Images, l’association Documentaire sur grand écran inaugure une nouvelle saison en braquant sa programmation sur les jeunesses désœuvrées.

À peine l’ombre d’un flic, toutefois, dans les trois films retenus pour la soirée : persuadé d’avoir shooté son frère à la carabine, le héros du Petit fugitif (Ray Ashley, Morris Engel, Ruth Orkin, 1953), Joey, sept ans, les évite tant bien que mal entre les chevaux de manèges à la foire de Coney Island. Pour se débarrasser de lui, son frangin trouvait l’idée marrante de faire comme dans les polars… On dirait qu’on ferait comme si Lennie était mort et qu’avec du ketchup, on tartinerait son t-shirt. On fourrerait un fusil entre les mains de Joey en lui faisant croire qu’il tire de vraies balles. Et après ? On dira à maman qu’c’est pas notre faute si, barbouillé de larmes, Joey s’est enfui sans laisser d’adresse, en prenant néanmoins soin d’emporter son colt en plastique.

 

Le Petit fugitif

Comme semblait l’ordonner le personnage de Brad Pitt dans The Tree of Life (Terrence Malick, 2011) : il faut cogner pour être un homme, et surtout bien ranger son émotivité au placard. En toute logique, parti de chez lui pour s’installer à la gare du Nord de Bucarest, Gigi pense à raison qu’il est plus dur pour une fille de survivre en ce bas monde (Gigi, Monica et Bianca, Benoît Dervaux, Yasmina Abdellaoui, 1996). Une fille, ça peut souvent tomber sur un salaud qui la tabassera. Lucide, il espère en vain que sa femme Monica, quinze ans, accouchera d’un garçon. En attendant, confiante, Monica dessine à la craie sa future maison de campagne sur le trottoir.

« Boire, fumer, tricher, voler, casser, tuer, violer, prendre de force : c’est le don de Dieu. »

Alors, pourquoi ne pas avorter ? Pour Gigi qui ne possède rien, Monica c’est « comme un cadeau auquel tu tiens, que quelqu’un t’as offert et que tu gardes jusqu’à la mort. Jusqu’à la mort. Tu dois le garder ce cadeau qu’on t’a offert ! Si tu le brises, c’est très dur. Tu y penseras tout le temps. Tu ne penseras qu’à ça ». Radicale, l’injonction est forte comme le lien qui les unit, les soudant l’un à l’autre tel le mythique androgyne de Platon. Par la force de leurs seuls bras, assaillis par les puces, le couple d’ados se hisse à hauteur de Dieu, et ce n’est pas par orgueil, mais bien par amour. Un amour au sens christique, qui doit épurer un nimbe ordurier devenu seconde peau. En donnant naissance à Bianca – Blanche –, Gigi et Monica espèrent conjurer le sort, inverser la balance du Mal, construire une alternative à la laideur de leur quotidien et, surtout, de leur entourage. Cet entourage, qui, sans cesse, les pousse à l’errance. Comment préserver la candeur d’un bébé quand le grand-père, violeur récidiviste, bastonne régulièrement la grand-mère, et tente systématiquement d’agresser sa belle-fille ? S’enfoncer. Plus loin encore… de la gare, des parents, des rapaces, dans les sous-bois… en espérant, comme Robinson, réussir à subsister en autarcie, en marge de ladite civilisation.

Enfants des courants d’air

À ne pas confondre avec « grandir », qui signifie – physiquement et symboliquement – « devenir plus grand », devenir adulte, c’est, paraît-il, céder au compromis, déchausser sa naïveté pour composer avec le principe de réalité, comme s’il était, en soi, une fatalité. Les règles du jeu ainsi fixées, comment se faire une raison lorsqu’on découvre qu’elles ne tiennent pas la route ? Qu’une fillette puisse finalement fumer comme un vieux boucanier, ou une bande de petits clochards balancer un vieillard dans un landau pour le porter à l’assistance publique (Enfants des courants d’air, Edouard Luntz, 1959) ? Contre toute attente, tout seul, Joey se débrouille beaucoup mieux que son grand frère : en une journée, il a trouvé le moyen de gagner sa vie, et d’apprendre à monter à cheval. Troublante, Monica palabre et rêve comme une enfant. Et pourtant, son corps mutant est bien celui d’une femme enceinte.

 

Le Petit fugitif

Sans espoir d’une société alternative, du haut des ruines d’Allemagne année zéro (Roberto Rossellini, 1948), l’expérience de la déréliction a poussé Edmund au suicide. Piégés dans leur bidonville parisien, les gosses d’Edouard Luntz se faufilent dans les friches et s’enroulent dans les pneus comme autant de rats contraints dans les égouts d’une société dégueulasse. Plus chanceux cette fois, de terreur, à défaut de saisir la main de papa, l’enfant seul face à la mort pourra toujours hurler à ses camarades d’infortune : « Attendez-moi ! », puis filer vers l’hypothèse d’un monde meilleur. Et sinon ? On dira à maman qu’c’est pas notre faute si des gosses se sont un jour sentis obligés d’en finir avec la vie pour fuir la société que nous avons soi-disant bâtie pour eux… Mais que font les adultes ?

Séance de 19h : Gigi, Monica et Bianca de Benoît Dervaux et Yasmina Abdellaoui (Belgique, 1996).
Projection suivie d’une rencontre avec Benoît Dervaux et l’historienne Arlette Farge.

Séance de 21h15 : Enfants des courants d’air d’Édouard Luntz (France, 1959, Prix Jean Vigo 1960) et Le Petit fugitif de Ray Ashley, Morris Engel et Ruth Orkin (USA, 1953).
Projection présentée par Tangui Perron, historien et chargé du patrimoine à Périphérie.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi