Après une formation en études de l’art (ceci explique cela), le cinéaste débuta par un premier long métrage tout à fait singulier et déroutant dénommé Eraserhead. Film indépendant, torturé et cauchemardesque, il lui valut de se démarquer en tant que jeune talent à suivre. Cinéaste expérimentateur, Lynch se plaît à explorer des genres, styles et narrations différents, tout en se posant constamment la même question fondamentale : comment raconter une histoire de manière différente en changeant la forme filmique, quitte à la tordre dans tous les sens ? Une bien vaste interrogation qui commença peu à peu à trouver une réponse à travers la trilogie Lost Highway, Mulholland Drive et Inland Empire, réflexion sombre et désenchantée sur Hollywood, le rêve américain ainsi que le dispositif filmique associé au rêve et au mensonge (en cela, il se rapproche de ses confrères Brian De Palma avec Snake Eyes ou encore Michelangelo Antonioni avec Blow Up, Blow Out). La même question a également travaillé Stanley Kubrick, dont le 2001, l’Odyssée de l’Espace pourrait très bien être qualifié de cousin éloigné du Dune de Lynch, space opera flottant et mystique.
On a tendance à oublier à quel point le réalisateur est également capable de signer des récits plus classiques, d’une simplicité sidérante, tout en parvenant à conserver une très grande force. Ainsi, certains diront de The Straight Story qu’il s’agit de son meilleur film. À la fois hommage nostalgique et portrait satirique des Etats-Unis (tout comme Blue Velvet), le film suit le parcours d’un vieillard en tracteur déterminé à aller rendre visite à son frère mourant, résidant à des kilomètres. Il prend de ce fait la forme du road movie, genre cinématographique qu’il concocte une fois de plus à sa sauce. La retenue du métrage étonne, tranchant radicalement avec l’hystérie d’un Lost Highway ou d’un Twin Peaks et démontre la capacité du cinéaste à exprimer une très grande compassion. Probablement le passage le plus étonnant du film : on retiendra particulièrement la scène où le protagoniste contemple un orage à travers la fenêtre avec sa fille, le regard émerveillé. Le finale en est un autre exemple, où les deux frères se retrouvent assis sur le porche côte à côte en silence, les larmes aux yeux.
Autant Sailor et Lula ressemblait davantage a un film des frères Coen, autant Elephant Man était un sujet rêvé pour David Cronenberg, dont l’univers est très proche (le corps, la maladie, la chair, la déformation…). Bien qu’étant son film le plus classique, il demeure aussi sans doute le plus émouvant – l’humain et les émotions y tenant une place centrale – mais aussi le plus dérangeant, notamment par son réalisme. Expérience traumatisante pour le public, les hommes ici sont clairement désignés comme étant les vrais monstres. La femme détient elle aussi une place primordiale dans ce cinéma. Mulholland Drive, exemple parfait, évoquant la dualité qui revient sans cesse dans ses longs métrages. D’un côté la brune, objet de désir et femme fatale mystérieuse, de l’autre la jolie blonde, candide et pétillante. Peu à peu les rôles s’inversent et se brouillent, s’accordant avec cette logique du rêve et surtout de la schizophrénie. La femme est donc essentiellement présentée comme objet de fascination et de mystère, se retrouvant souvent au cœur du sujet.
Il est par ailleurs impossible de parler du cinéma de David Lynch sans évoquer le travail sonore considérable apporté à ses films. Que ce soit en termes de mixage, d’ambiances sonores ou de choix musicaux, la richesse de cet univers ne cesse d’étonner tant il est varié et tant le metteur en scène y accorde une importance aussi cruciale que l’image et la photographie. On évoquera de ce fait diverses séquences de Lost Highway (l’utilisation du saxophone en décalage avec l’image, les morceaux de Lou Reed et de Marilyn Manson sur des séquences aussi brutales que sensuelles) ou encore l’ouverture de Blue Velvet où la caméra se faufile à travers les brins d’herbe au ras du sol. Lors du générique d’ouverture d’Inland Empire et à l’apparition du titre, le son d’un projecteur accompagné d’une lourde nappe de basse vient menacer le spectateur, résumant presque tout le film par le biais du son.
Désormais, avec l’arrivée et la banalisation du numérique, Lynch jouit d’une liberté artistique et logistique quasi totale. De ce fait, son dernier film en date, Inland Empire, s’apparente à un objet étrange que l’on projetterait plus facilement au Centre Pompidou que dans les grands multiplexes. Le film (qui dure pas loin de 3h !) tourné en caméra DV (avec la Sony PD 150) n’en demeure pas moins l’« opus magnum » du cinéaste, de par ses thématiques et ses obsessions visuelles. Le spectateur se retrouve ici entraîné dans une espèce de nébuleuse où le réalisateur, nous prenant par la main, nous emmène et nous perd, basculant constamment du rationnel à l’irrationnel, pour enfin nous retrouver en nous rappelant que tout ceci n’est au final qu’un film.
Fascinant, cauchemardesque, déroutant… les mots seuls ne suffisent pas pour résumer le cinéma de David Lynch. Tout comme Dylan Thomas ou Francis Bacon, ses films fonctionnent bien plus sur le ressenti que sur le rationnel. Ainsi, les images et les sons semblent découler d’une idée maîtresse, dictant par la suite les séquences filmées. Désormais le cinéaste, décidemment insatiable, souhaite mettre en images La Métamorphose de Kafka ainsi qu’une nouvelle adaptation de Lolita de Nabokov, transposée dans un univers post-apocalyptique. Vous avez dit bizarre ?
La rétrospective David Lynch s’est tenue à la Cinémathèque Française du 13 au 31 Octobre.