Coffret Godard Epoque Contemporaine

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Godard, toujours aussi méticuleux, hante Noël avec quelques oeuvres contemporaines.

Edition Studio Canal – Décembre 2007

Ce coffret édité par Studio Canal ne nous permettra pas de tracer la trajectoire, ou de définir les lignes de fuite de l’œuvre de Godard dans les années 1980 et 90 puisqu’il ne comprend que quatre films de cette période. Néanmoins, ce coffret non-exhaustif a le mérite de donner un premier aperçu du travail le plus récent et finalement le moins connu du maître. Les œuvres sont accompagnées d’une présentation généralement intéressante et pertinente de Colin MacCabe (professeur anglosaxon, spécialiste de Godard) et l’on peut trouver en CD-Rom les dossiers de presse qui se révèlent être pour certains des œuvres quasiment a part entière. Les suppléments permettent d’accompagner en douceur la découverte de ces films souvent difficiles d’accès.

Passés les grands succès publics des années 1960, Jean-Luc Godard a donné une orientation beaucoup plus expérimentale à son travail. En fondant avec Anne-Marie Mieville sont propre studio, il s’est donné les moyens d’une grande liberté de création qui l’a poussé à délaisser les schémas narratifs classiques et à accorder une place de plus en plus grande à la réflexion, aux citations, à la pensée. On peut considérer plusieurs de ses films des trente dernières années comme des essais très personnels sur la mémoire, l’histoire, l’art ou encore la religion. Cette évolution trouve son point culminant dans cette œuvre-somme, qu’est Histoire(s) du Cinéma. Toutefois, il ne cessera de travailler avec les plus grandes stars du cinéma français et alternera les films à petits budgets, avec de plus grosses productions qui pouvaient prétendre toucher un plus large public.

A la lumière de ce coffret, on est tenté d’établir le portrait d’un Godard aux deux visages. Le premier est celui du penseur qui inonde ses œuvres de citations, de références littéraires et philosophiques, passant aussi bien par des inserts écrits que par les dialogues, avec pour résultat de perdre allègrement le spectateur dans les dédales d’une érudition qui se veut tout sauf pédagogique ou didactique. Ce portrait correspondrait plutôt a Passion et Hélas pour moi. L’autre face, c’est celle du clown blanc qui prend encore plaisir à jouer avec le destin de ses personnages, avec un sens de l’ironie au moins aussi aiguisé que celui de la tragédie.

Au final, on ne peut que se réjouir a l’idée que ces œuvres à la fois brutes, obscures et pleines de poésie, qui ne se laissent pas facilement apprivoisées au premier visionnage, soient disponibles en DVD. Tout ce pan de l’œuvre de Godard, à la fois méprisé et méconnu reste un grand champ à butiner et à défricher. Avis aux amateurs.


Passion (1982)

Dans Passion, Jerzy un cinéaste polonais tente de faire un film qui reconstituerait cinématographiquement des grands tableaux de l’histoire de la peinture, tandis que non loin du tournage une grève fait rage dans une usine.

Contrairement à Prénom Carmen dans lequel le tournage d’un film n’était qu’une puérile supercherie destinée a faciliter l’enlèvement d’un industriel, Passion est porteur d’un discours très théorique sur la spécificité du cinéma en tant qu’art. Godard cherche à montrer que la prétention de son personnage à imiter, reproduire les chefs d’œuvre de la peinture par les moyens du cinéma, est vouée à l’échec. Jerzy ne parvient pas à capter la lumière qu’il perçoit dans les toiles des maitres. Pourquoi ? Parce que cette lumière n’est pas réelle tandis que la camera, elle, n’enregistre que le réel. Si la tentative de Jerzy ne peut aboutir, c’est parce que le cinéma diffère de la peinture en ce qu’il constitue une synthèse de la peinture, de la musique, de la littérature et même de la photographie.

La réponse de Godard à l’échec de son personnage Jerzy serait de dire qu’avec le cinéma, l’art ne se trouve plus dans la pose, mais qu’il se pratique, se travaille au quotidien dans le moindre geste, le moindre mouvement comme semble le suggérer la jeune serveuse qui danse en rentrant chez elle et prend les commandes en exécutant des figures de gymnastique ou encore ce raccord qui met sur un pied d’égalité le gros spot du plateau de tournage et la petite lampe qui éclaire la réunion des ouvrières. Le cinéma a non seulement à faire avec la politique mais il doit également révéler la poésie de l’instant, celle du temps présent, plutôt que de chercher à faire renaitre celle du passé comme cherche à le faire Jerzy. Isabelle Huppert, bouleversante en ouvrière bégayante, excelle a servir ce projet, cette hypothèse que sous-tend le film. Elle apporte une nouvelle fois la preuve qu’elle sait tout jouer, la grande bourgeoise comme la petite prolétaire.

Le film de Godard se tient donc en porte a faux des chefs d’œuvre de la peinture qui incarnent tous, à leur manière, une certaine idée de la perfection (harmonie des corps, des couleurs etc). Ainsi, les relations qui se nouent entre les personnages restent toutes au stade d’ébauches, aucune ne s’épanouit. Jerzy reste partagé entre deux femmes, de même que la femme de Piccoli lui répète « J’aurais voulu t’aimer passionnément ». La trame narrative ne tisse pas un fil qu’elle tirerait jusqu’au bout mais hésite constamment entre les problèmes de tournage de Jerzy, la grève à l’usine et les histoires d’amour à peine esquissées. Le cinéma, comme la vie, n’est qu’une succession d’esquisses, d’ébauches, une recherche permanente et ininterrompue. C’est ce qui rend Passion si peu agréable à regarder, si peu confortable pour le spectateur.

 

Prénom Carmen (1983)

Avec Prénom Carmen, on retrouve un certain esprit de liberté et de fantaisie qui rendait le Godard des années 1960 immédiatement séduisant. Il se met ici en scène dans le rôle d’un réalisateur déchu et a demi-fou, débitant des réflexions que personne n’écoute et ridiculise ainsi l’image de demi-dieu que certains se plaisent à lui accorder (habitué des jeux de mots, il lui est également arrivé de transformer son nom de famille en God-Art…).

Beaucoup d’autodérision donc dans une œuvre qui reste par ailleurs très noire. Il détourne le genre du film de gangster (thème du braquage et de l’enlèvement) pour en faire une histoire d’amour désespérée et mélancolique, très librement inspirée du célèbre opéra de Bizet. Raoul Coutard, vieux compagnon de route de Godard nous gratifie d’un remarquable travail sur la photo en lumière naturelle. Il sublime véritablement les corps souvent nus des deux amoureux, au même titre qu’un peintre ou un sculpteur. L’élan tragique des deux amants courant à leur propre perte est impulsé par les envolées lyriques de Beethoven, interprétées par un quatuor à cordes qui apparaît directement dans le film. La répétition des plans fixes sur le flux et reflux de la mer qui se fracasse contre les rochers valant, quant à elle, pour une métaphore de cet amour qui se désintégrera aussi vite et aussi violemment qu’il est née. On se rappellera à cette occasion de cette scène sublime qui montre Joseph abandonné par Carmen, gisant, sur l’écran grésillant de la télévision, alors que s’élève la voix blessée de Tom Waits chantant Ruby’s Arms.

La rupture marquée par la chanson folk au milieu d’un film habité par la musique classique vient nous rappeler a quel point Godard sait faire montre d’une grande liberté de ton quand il en a envie. Il possède également cette capacité à passer d’un claquement de doigt du premier au second degré, d’une scène intensément dramatique voire tragique à la suivante ironique et burlesque.

 

Détective (1985)

 

Détective partage avec Prénom Carmen ce même sens du tragique. Dans Prénom Carmen, des le début, il fait peu de doute que les héros sont condamnés à une issue fatale. L’inconscience des jeunes protagonistes les précipitent vers leur propre mort, et Carmen le sait bien. Dans Détective, trois personnages (Brasseur, Johhny, Nathalie Baye) au bout du rouleau forment un triangle amoureux perverti par leur obsession de l’argent (Johnny, doit une grosse somme d’argent au couple Brasseur-Baye). Tout le film se déroule dans un même hôtel parisien, plongeant ce drame policier dans une atmosphère mortifère et crépusculaire. Godard travaille ses « stars » (dans le générique, distingue les trois « stars » nommées des autres « acteurs »…) comme on polit une pierre précieuse. Il épure leur jeu, les dépouille de tout le superficiel qu’ils ont acquis au fil des ans, si bien qu’on finit par croire miraculeusement que Johnny est un médiocre entraîneur de boxe.

Une nouvelle fois, la prescience d’un drame à venir qui habite ces trois personnages désespérés est contrebalancée par quelques saillies burlesques inattendues qui aèrent un récit particulièrement dense et sombre. C’est ici un boxeur s’entraînant sur tout ce qui lui passe sous la main (des balles de tennis ou les seins d’une femme), là les déambulations d’un inspecteur de police outrancier et farfelu (Jean-Pierre Léaud, jamais aussi bon que lorsqu’il ne joue pas à être Jean-Pierre Léaud).

 

Hélas pour moi (1993)

Hélas pour moi va plus loin encore dans cette entreprise d’épuration et de tronquage du récit, bien qu’il reprenne et réactualise le mythe littéraire d’Amphitryon. Certains personnages apparaissent sans qu’on ne sache rien d’eux et peu de dialogues nous renseignent sur ce qu’ils sont, ou sur leurs traits de caractère. Tout le film peut se résumer en peu de mots : Depardieu interprète Simon, un mari qui quitte sa femme. En son absence, (un?) Dieu vient la séduire en prenant l’apparence de celui-ci. Pourtant le film est aussi difficile à suivre que Passion, alourdi par une musique classique sinistre et encombré de citations écrites et orales dont le sens et la portée n’apparaissent que trop rarement.

Godard semble cette fois jouer dans sa bulle suisse, coupée du monde, sans jamais donner l’impression de vouloir rendre son travail pleinement accessible. Anne, la prof de littérature affirme d’ailleurs : « Il y a des phrases fausses que l’on traîne comme des poids morts pendant des années ». Voila qui vaut comme la meilleure des mises en garde de Godard a l’égard de son propre dispositif de réflexion…

On retiendra cependant de ce film opaque et complexe le jeu magnétique de Depardieu, dépouillé de tous les tics de langage qui, comme Léaud du reste, l’ont parfois réduit à une caricature de lui-même. Les subtiles variations de son corps-masse excellent à évoquer le changement d’identité du personnage : le passage de l’homme à la divinité. La simplicité de son jeu confère à l’intervention divine dans la vie terrestre une grâce mystérieuse et fascinante. Terminons en rappelant une nouvelle fois que la beauté lumineuse de certains plans (un travelling le long d’un lac suisse, des flous artistiques hypnotisants…) témoigne du degré de maîtrise technique atteint par Godard au fil des années. Sur ce plan la, il frôle la perfection.


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