Coffret Eiichi Kudo

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Eiichi Kudo, le petit maître rebelle

On découvre régulièrement, et c’est tant mieux, des cinéastes japonais des années 60/70 passionnants et inconnus, puisque ces filmographies de studio ne peuvent nous parvenir que par brides. Eiichi Kudo est ainsi un complet inconnu du spectateur français, mais un petit maître dans le milieu du cinéma japonais, qui classifie ses auteurs comme chaque corps de métiers. En dessous des grands maîtres tels Mizoguchi, Kurosawa ou Naruse, on trouve donc les petits maîtres, avec parmi eux rien moins que Kinji Fukasaku, Kenji Misumi ou cet Eiichi Kudo, dernière découverte tardive et pourtant d’une évidence magistrale. Avec le coffret DVD de trois films (avril 2007) apparaît en effet un cinéaste passionnant, totalement en phase avec son époque, donnant au genre classique du Chambara– le film de sabre en costume – une connotation totalement inédite.

Avec ces trois films réalisés entre 1963 et 1967, c’est une œuvre très cohérente qui nous est présentée, s’inscrivant dans le genre classique pour le cinéma japonais du Chambara. Situé au XVIIeme siècle, dans un Japon féodal dirigé par un Shogunat tout puissant qui réunit les grandes familles du pays, Les 13 Tueurs, Le Grand attentat et Les 11 Guerriers du devoir sont trois variations sur un même thème : les abus de dirigeants avides de pouvoir, que seuls quelques samouraïs vont oser affronter pour que justice soit rendue. Sous couvert de films de vengeance « classiques », la persistance de ces portraits d’un pouvoir corrompu et cruel éveille tout de même la curiosité, tant il détourne les bases même du rôle de samouraï, censé faire respecter la loi, et donc le Shogunat. Avec Eiichi Kudo, la vengeance et la justice ne semblent plus faire qu’un.

Comme ses personnages de samouraïs rebelles et contestataires, Eiichi est un cinéaste très impliqué dans son temps, soit les années 60, avec leurs mouvements contestataires forts et les courants révolutionnaires chez les étudiants japonais qui donnèrent lieu à des révoltes violemment réprimées par la police, qui font encore aujourd’hui partie des images marquantes de l’Histoire contemporaine du Japon. A travers ces trois films « historiques », il est pourtant évident qu’Eiichi évoque tout autant son époque, et prend position aux côtés des révolutionnaires, ici des samouraïs errants qui tentent de rendre justice eux-mêmes, puisque les maîtres sont dépeints comme des êtres inhumains et sans pitié.

Portés par une puissance visuelle qui n’a rien à envier à Akira Kurosawa, les films d’Eiichi donnent cette curieuse impression de juxtaposer le Chambara à un documentaire sur les mouvements politiques des années 60. On a bien les costumes, les décors si bien connus, les combats chorégraphiés, mais son style de mise en scène révolutionne les codes, avec l’usage de la caméra à l’épaule, un noir et blanc ultra contrasté et la longue focale qui permet des zooms avant au cœur d’une action vue de loin. Soit des éléments que l’on retrouve à la même époque dans le reportage. Le cinéaste obtient ainsi un effet de réalisme inédit, en opposition à l’aspect théâtral et distancié habituel.

Les 13 Tueurs est sans doute son œuvre maîtresse parmi ces trois, posant ce postulat du samouraï rebelle et vengeur, mais non dénué de questionnements personnels, et même plutôt envahi par le doute. Avec une grande maîtrise du cinémascope, l’ouverture est absolument magnifique : le plan vu en plongée d’un corps recroquevillé au sol, devant la porte du Shogunat où il vient de se faire sepuku (hara-kiri) initie la crise qui va mener à la révolte des samouraïs. Eiichi met en place son scénario fétiche : le constat d’une injustice, de dirigeants coupables de cruauté et d’arrivisme, provoque la révolte de quelques samouraïs qui se liguent pour assassiner le coupable, offrant leur mort probable pour le bien de la société.

Il y a dans ces trois films une grande importance de la préparation au combat, Eiichi prenant le temps de filmer les réunions tactiques, la consultation des plans, les stratagèmes élaborés pour atteindre le pouvoir. Dans Le Grand attentat, le Chambara devient totalement méditatif, la tactique, la réflexion politique mais aussi les doutes intimes des protagonistes, leurs peurs individuelles prennent le pas sur l’action pure. Comme on parle d’anti-western avec Monte Hellman, on pourrait parler d’anti-Chambara avec Eiichi. Ce film donne aussi une représentation très claire de scènes de torture, sans doute telle que pratiquée sur les opposants politiques de l’époque. A la manière de Godard dans Le Petit soldat, le cinéaste glisse dans son film un commentaire à lire à travers les lignes du récit. Il va jusqu’à utiliser les sons d’une véritable manifestation étudiante lors de la sanglante scène finale. Et avec Les 11 Guerriers du devoir, c’est carrément « attentat mode d’emploi » tant le film décrit avec méticulosité la préparation d’un assassinat politique.

Mais si les films de Eiichi offrent de longues pauses ouvertes à la réflexion, ils n’en restent pas moins des films où l’action tient une place primordiale. Avec des scènes d’une fulgurante beauté, tout comme avec la longue scène de combat qui clôture chacun de ses films, le cinéaste trouve des angles et des images inédits, toujours dans le sens d’un réalisme exacerbé. Eiichi invente un style de Chambara entre l’inventivité folle de Kenji Misumi et le style documentaire des films ultra politiques (de gauche) de Koji Wakamatsu (La Vierge violée, L’Extase des anges), avec lequel il partage l’usage du noir et blanc et des images arrêtées. Juste avant l’explosion de la violence, le cinéaste enchaîne un plan large de la forêt pleine de pièges prêts à se refermer sur le Seigneur, et un gros plan d’une paume de main, où se ballade un insecte. Encore une micro-pause, un dernier temps de méditation. Comme pour mieux encrer ses récits dans du « réel », le cinéaste fait aussi constamment appel aux quatre éléments, dans lesquels ses personnages sont prisonniers. Pluies diluviennes, brouillards opaques, boue et feu marquent chacune des scènes de combat finales, toujours magistrales, où le dépassement de soi, souvent jusqu’à la mort, offre aussi un dépassement de sa condition humaine, et des éléments qui l’entourent. De l’héroïsme, jusqu’au bout.


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