Cinéma & – Dominique Noguez

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Dominique Noguez, écrivain, romancier et essayiste choisit quelques ingrédients pour accompagner son plat de résistance préféré : le cinéma. Expérimental surtout.

"Cinéma & Musique", "Cinéma & Peinture", "Cinéma & Baisers", "Cinéma & Ville"… C’est par l’esperluette, ligature entre le "e" et le "t", que Dominique Noguez a choisi de raccrocher certains wagons-thèmes à la locomotive-cinéma. De fait, chez lui, le terme de "cinéma" a primauté sur l’autre, "comme un astre l’emporte sur ses satellites. Dans ce livre, le cinéma est doublement l’astre […] parce que le cinéma est par nature central et satellisant. Il a en quelque sorte l’esperluette chevillée au corps. Il est, plus qu’aucun autre art, attrape-tout, gourmand de rapprochements, de flirts, de coordinations, de fusions – un intermédiaire, un acoquineur, un rassembleur" (1). Détail non négligeable, lorsqu’il parle de "cinéma & quelque chose", il s’agit surtout de cinéma expérimental dont il est le grand spécialiste (cf. Éloge du cinéma expérimental). C’est donc à la lumière de son exégèse en la matière qu’il analyse quelques combinaisons de son cru. On ne trouvera donc pas tant les habituelles références de l’Histoire du cinéma telles que Hitchcock, Lang ou Fellini que les Peter Kubelka, Stan Brakhage, Walter Ruttmann ou Robert Breer, entre autres pontes du cinéma expérimental.

C’est un fait, cette branche du cinéma est assez rarement mise en exergue dans nos pages. Il est sans doute temps de faire un pas de côté, une "esperluettisation" de nos habitudes. Et l’ouvrage de Dominique Noguez, quoique court, mais tellement instructif et souvent drôle constitue une parfaite introduction. Il était une fois le cinéma… expérimental donc.

Partisan, c’est sûr que l’essai de Dominique Noguez l’est. Considérant le cinéma comme le premier des arts et non le septième (tout simplement !), l’auteur des Derniers Jours du monde (adapté au cinéma en 2009 par les frères Larrieu, avec Mathieu Amalric notamment) loue les capacités du cinéma voire son appétence à se nourrir des autres arts, des divers motifs qui s’offrent à lui, mais aussi à nourrir les autres disciplines. Tout en adressant au passage – pourquoi se priver ? – des piques aux détracteurs du cinéma expérimental (chapitre "Cinéma & Théorie"), il dit l’originalité et la richesse formelle de ces pratiques filmiques marginalisées, souvent le fruit d’une double casquette : le cinéaste/peintre (loin d’évoquer les nombreux biopics sur les grands peintres, le chapitre "Cinéma & Peinture" s’attarde sur le travail de Jean-Luc Godard, Fernand Léger, Peter Kubelka ou plus particulièrement du "ciné-peintre" Teo Hernandez), le cinéaste/photographe (Michael Snow, plasticien de son état ou Chris Marker et les images fixes de La Jetée), ou le cinéaste/expérimentateur de sons, (Robert Breer enregistrant « n’importe quoi » pour la bande-son de certains de ses films, les décalages de synchronisation chez Marguerite Duras dans Nathalie Granger ou les essais synesthésiques d’Oskar Fischinger d’après Mozart ou Bach). Il ne s’agit pas tant de savoir ce qui fait qu’un film est plutôt pictural, photographique ou musical mais plutôt en quoi il est le résultat d’une posture artistique, "En quoi un tel cinéaste est-il toujours déjà un peintre ?" (2)

Dominique Noguez choisit également des binômes beaucoup plus personnels tels que le paysage, la ville ou le baiser. Pour le premier, il tente de pallier à l’absence d’analyse critique du paysage au cinéma (sans connaître la date d’écriture de ce chapitre, on peut tout de même citer d’intéressants ouvrages sur la question, tels que Les Paysages du cinéma sous la direction de Jean Mottet ou L’Image-Paysage. Iconologie du cinéma, excellent essai de Maurizia Natali) qui de fait a toujours été et continuera d’être anthropocentriste. Dominique Noguez rappelle combien la notion même de paysage au cinéma est multiple : réel chez les frères Lumière ou chez Flaherty, symbolique comme dans le Cabinet du Docteur Caligari, iconique comme dans Le Monde du silence, métaphorique comme le gros plan chez Jean Epstein, interventionniste comme les projections  plein air de Man Ray sur les corps de danseurs, ou aléatoire comme ce génial dispositif de Chris Welsby qui laissent deux caméras munies de girouettes balayer un paysage au gré du vent. La ville est évidemment un paysage inévitable de l’Histoire du cinéma auquel Dominique Noguez consacre un chapitre. De Dziga Vertov et son Homme à la caméra à Walter Ruttmann et son Berlin, symphonie d’une grande ville, en passant par le New York de Chantal Akerman, tous ces cinéastes posent la même question : "Comment prendre la ville ?" (3)

Deux combinaisons restent les plus réjouissantes de l’ouvrage : "Cinéma & Baisers" et "Cinéma &… Rien". D’un côté le cinéma qui montre tout, de l’autre, celui qui se passe de tout. Citant une flopée de films, Noguez brassent en vingt preuves les liens étroits qui existent entre cinéma et baiser : depuis la ruse des acteurs face à l’interdiction du baiser "d’une lascivité excessive" par le sénateur Hays dans les années 30 à Hollywood, à la symbolique du baiser de fin, de la pudibonderie du cinéma français des années 50 au premier baiser homo de l’Histoire du cinéma, jusqu’au baiser quasi biologique filmé au rayon X, Dominique Noguez désigne le baiser à l’écran comme le cour magistral et la salle obscure comme le lieu de travaux pratiques ! Et pour clore cet agréable ouvrage, Dominique Noguez pose la question inattendue d’un cinéma sans image. Plus particulièrement d’un cinéma sans le support matériel et sonore qui le définissait jusque-là : la pellicule. Surtout porté par le mouvement lettriste, Dominique Noguez fait la description de ce cinéma imaginaire notamment à travers Tambours du jugement premier, un film sans écran ni pellicule de François Dufrêne, dans un chapitre passionnant de bout en bout. Un film sans image est-il toujours du cinéma ? Sans image ? Vraiment ?

Cinéma &
est un ouvrage très personnel, Dominique Noguez nous livrant sa vision des différents flirts du cinéma. La seule déception serait sans doute l’inégalité du contenu des combinaisons et surtout le développement un peu bref de certaines telles que "Cinéma & Philosophie" ou "Cinéma & Comique", mais on ne saurait reprocher à cet ardent défenseur du cinéma expérimental un ouvrage globalement captivant.


Cinéma & de Dominique Noguez, Coll. Sine Qua Non, Editions Paris expérimental, 216 pages, 20€. Sortie le 15 avril 2010.

(1) p. 8.
(2) p. 73.
(3) p. 118.


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