Boxing Gym

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Frederick Wiseman plante sa caméra au coeur d´une salle de boxe, lieu utopique où se croisent tous les visages de l´Amérique. Un documentaire minutieux, sonore et percutant.

A 81 ans, Frederick Wiseman garde le rythme. Maître incontesté du cinéma direct, il construit depuis 1967 une œuvre ambitieuse et cohérente, livrant un regard précieux sur les institutions qui structurent son pays. De Titicut Follies à Juvenile Court, de High School à The Store, le cinéaste a toujours privilégié les espaces clos, choisissant pour décor une prison d’Etat psychiatrique, un tribunal pour mineurs, une école supérieure ou un grand magasin… Avec son nouveau film le documentariste s’enferme dans un gymnase et se confronte cette fois au monde de la boxe. Très ritualisé, cet univers a donné naissance à de nombreux classiques, inspirant tour à tour Raoul Walsh, John Huston ou Martin Scorsese. Hasard du calendrier, le dernier opus de Wiseman sort d’ailleurs la même semaine que The Fighter de David O. Russel, qui perpétue cette tradition. Boxing Gym ne renie pas cette imagerie populaire, qui se retrouve partout sur les affiches ornant la salle de sport : grosses lettres et contrastes violents, surnoms assassins et couleurs saturées offrent au moindre combat une dimension mythique. Mais si les murs retiennent avant tout l’histoire des grands champions, Wiseman s’intéresse pour sa part aux amateurs, filmant leur entraînement quotidien, leur apprentissage rigoureux des gestes et des techniques.

Pendant des semaines, le cinéaste s’est imprégné de l’ambiance d’un club texan, à Austin, où boxeurs néophytes et confirmés viennent croiser les gants. Pour une somme assez modique (50 dollars par mois) les adhérents peuvent utiliser librement le matériel mis à leur disposition, s’exercer à la poire de vitesse ou au punching-ball, prendre des cours ou améliorer leur condition physique. Richard Lord, ancien professionnel et patron des lieux, circule entre les travées, prodigue à tous conseils et encouragements. Avec sa voix rocailleuse, sa tresse et son regard affuté, il sert de lien entre les scènes, imposant à l’écran sa présence évidente, douce et rugueuse à la fois. Véritable passionné, il ne dicte à personne sa vision du sport, laissant chacun progresser selon sa motivation. Car le Lord’s Gym rassemble des clients très divers, formant une vue en coupe de la société : ici se côtoient hommes et femmes, jeunes et vieux, issus de classes sociales parfois opposées. Lorsqu’il évoque les gens croisés au cours du tournage, Wiseman se lance dans une interminable énumération : « des juristes, des coiffeurs, des comptables, des plombiers, des électriciens, des élèves de collège et d’école primaire, des gens récemment libérés de prison, le juge qui les a condamnés, des étudiants diplômés d’histoire chinoise, de jeunes mères (mariées ou non) et leurs bébés, des nouveaux immigrés cubains et mexicains »… Soit un éventail révélateur d’un certain melting-pot, où les conflits ethniques, politiques ou générationnels semblent miraculeusement s’effacer. Le gymnase devient une bulle utopique, où l’amour du sport permet aux citoyens de se retrouver et d’échanger. Le film trouve ses meilleurs moments dans cette vie grouillante, et Wiseman capte avec bonheur quelques situations cocasses : après une séance d’échauffement, un jeune mexicain enseigne à son partenaire les rudiments de la cumbia, improvisant une danse entre les matelas. Le talent du documentariste éclate dans ces détails, saisis au détour d’un gros plan – un bébé qui dort dans son couffin tandis que son père cogne, juste à côté, sur un sac de frappe.
 

Tourné avant La Danse, au printemps 2007, Boxing Gym repose déjà sur la chorégraphie. Frederick Wiseman prête au mouvement des corps une attention constante, enregistrant le ballet des pieds en perpétuel balancement. Il effectue au passage un travail remarquable sur le son : bruits de pas, respirations, cordes à sauter, bips et cris se mêlent pour composer une partition fascinante, coulée de percussions qui plonge le spectateur en immersion. Dans la carrière du cinéaste, le film se distingue par sa brièveté : 1h31 seulement, alors que depuis vingt ans ses documentaires s’étendaient souvent au-delà des trois heures. Pour le reste, Wiseman reste fidèle à sa ligne de conduite : pas de voix off ni de commentaire explicatif, mais de longues séquences (parfois un peu répétitives) qui retranscrivent l’action dans sa durée. Le format carré, proche du ring, colle au sujet, tandis que le montage alterne efforts soutenus et temps morts. Hormis quelques plans de coupe (dispensables et pas toujours judicieux), la caméra ne quitte jamais le gymnase et maintient le monde réel à l’écart. L’actualité s’invite toutefois dans cette chambre d’échos, notamment la fusillade de l’université Virginia Tech, qui vient à plusieurs reprises troubler les discussions. La violence maîtrisée de la boxe semble alors canaliser et refouler une sauvagerie extérieure : la tonalité lumineuse de Boxing Gym ne marque pas chez Wiseman un apaisement naïf, mais plutôt une prise de distance. Refuge idéal pour les enfants des rues, la salle de sport permet également au cinéaste de s’abriter un instant de la folie environnante.

Titre original : Boxing Gym

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Durée : 91 mn


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