Tant pis pour les frustrés et les bourrins : le 30e Bifff a confirmé cette tendance à la versatilité, avec des séries Z jouissives côtoyant un drame politique avec Rachel Weisz, ou l’avant-première prestigieuse du dernier Friedkin précédant un film de zombies cubain. Plus que jamais, le marathonien du Bifff doit avoir l’esprit et les yeux grands ouverts.
S’il s’éloigne bel et bien du style anar de son Balade Triste de Trompeta, La Chispa de la vida prouve surtout que le talent d’Alex de la Iglesia est sans limites. En transposant l’intrigue du classique de Billy Wilder, Le Gouffre aux chimères, dans un Madrid contemporain secoué par la crise financière, de la Iglesia réussit une parabole poignante et acérée, qui tire à vue sur les médias, certes, mais aussi sur la folie de l’image qui s’empare de chacun de nous. Médecins, politiciens, agents, tous tentent de profiter du calvaire d’un ancien publiciste empalé par accident sur une tige dans un théâtre antique. Manifestement inspiré par l’histoire des mineurs chiliens, de la Iglesia nous rappelle que derrière l’émotion fabriquée pour les masses se cachent des histoires humaines, intimes et tragiques. Il s’appuie pour cela sur un couple d’acteurs très juste (José Mota et Salma Hayek), une structure qui rappelle Un après-midi de chien et une maîtrise scénaristique sidérante. Un petit chef d’œuvre.
A contrario, Iron Sky était lui très attendu (la salle était d’ailleurs pleine). En projet depuis six ans, le film se base sur un pitch fou, aux possibilités inépuisables : les Nazis sont partis sur la Lune en 1945. Ils y ont construit une base, et 60 ans plus tard, s’apprêtent à envahir la Terre ! Qui ne voudrait pas voir ça ? Pas Timo Vuorensola, en tout cas, l’opiniâtre réalisateur finnois ayant réussi le pari de produire, avec autant de millions d’euros qu’une comédie avec Manu Payet, en met plein la vue sans se prendre au sérieux. Iron Sky est une farce, bourrée de gags faciles, de parodies plus ou moins réussies (comme la fausse Sarah Palin, devenue présidente en 2018), et pâtissant d’un scénario squelettique. Il n’empêche : l’idée est poussée à bout, et le spectacle impressionne plus que Transformers 3 en écran large.
Même son de cloche pour la dernière production Troma présentée en séance de minuit, avec son réalisateur Jérémy Gillespie et le flamboyant producteur Lloyd Kaufman. Tourné pour une misère, Father’s Day est un idéal de série Z grindhouse, exagérément sanglant, incorrect et foutraque pour supporter plusieurs visions. L’histoire de la traque d’un serial-killer abominable nommé Fuchman (sic) s’attaquant exclusivement aux papas ventrus, et qui est pourchassé par un ex-taulard revanchard et borgne nommé Ahab, importe peu. C’est le délire des scénaristes qui est la star de ce spectacle psychotronique, avec ses faux trailers, sa visite express en Enfer, sa musique à la John Carpenter, et son humour plus fin qu’il n’y paraît.
Enfin, au rayon immanquable, Killer Joe figurait en bonne place. Le nouveau film de William Friedkin, qui sort en salles courant août, est dans la lignée de son Bug, déjà adapté du même dramaturge Tracy Letts. Même ambiance sudiste, mêmes personnages taillés à la serpe, abandonnés à leur stupidité contagieuse et leur appât du gain. Même explosion de la notion de famille, aussi, puisque le Killer Joe du titre (Matthew McConaughey, en plein show) vient détruire les maigres relents d’amitié qui peuvent exister entre les différents protagonistes de ce film noir évoquant plus d’une fois les frères Coen. L’opposition de caractères, de physiques à contre-emploi, l’ambiguité morale d’une petite communauté, tout cela est traité avec efficacité par un Friedkin fidèle à lui-même, y compris dans son climax en suspens.
Des films inattendus
Plus intimiste, Shuffle est une sorte de Benjamin Button passé au shaker, avec son voyageur temporel et narcoleptique, qui se réveille à une période différente de sa vie dès qu’il s’endort. Un moyen plutôt malin d’éviter les paradoxes temporels propres à ce type de récit très casse-gueule. On peut regretter le choix d’un noir et blanc ouaté pour illustrer cette histoire, manifestement indispensable pour masquer le manque de moyens (et économiser sur le budget « reconstitution soignée d’époque »), et le dénouement ultra-puritain de ce méli-mélo, mais les acteurs sont attachants et le film comporte son lot de scènes mémorables et bien vues.
Action, effets spéciaux, chansons et bonne humeur sont au menu du bollywoodien Ra.One
On atterrit en territoire plus balisé avec des réussites comme Juan of the Dead, Lobos de Arga et Ronal the Barbarian, soit une série B cubaine, une comédie espagnole et un dessin animé danois, qui se moquent des codes établis du film de zombies, de loups-garous et de l’heroic-fantasy musculeuse, à grands coups de gags bien sentis, de personnages secondaires savoureux, d’un rythme soutenu et dans le cas de Ronal, d’une bande-son aux petits oignons. Production hong-kongaise plutôt savoureuse, Mr & Mrs Incredible fait de son couple de super-héros rappelant le Pixar du même nom des retraités frustrés par leur vie pépère dans une Chine médiévale fantasmée, parodiant là aussi des motifs établis (un bat-signal archaïque, des pouvoirs à la X-Men pour faire la cuisine…) pour créer un décalage rafraîchissant, masquant le côté finalement assez classique du scénario. Ace Attorney, quant à lui, est l’adaptation réussie d’un jeu Nintendo basé sur des procès et enquêtes farfelus, menés par un avocat débutant à la coiffure impossible. Très drôle, très dynamique et fidèle à son modèle, le film a aussi pour particularité d’être réalisé par Takashi Miike, ici loin des délires macabres de ses jeunes années.
Dans le registre « peut mieux faire »…
John Cusack s’amuse à jouer Edgar Poe dans le très routinier L’ombre du mal
Plus attirants sur le papier, certains titres de la sélection thriller, comme Eliminate Archie Cookson, id :A et Charlie Zone, prennent malgré tout trop leur temps pour raconter des histoires finalement très classiques. Leurs brusques montées de violence, et les emprunts à des films prestigieux (Les trois jours du condor ou les Jason Bourne), n’excusent pas cette mollesse généralisée qui fait souvent des victimes (du sommeil) dans ce genre de festivals.
Avec Iron Sky, la SF était bien représentée, mieux en tout cas que dans Arrival of Wang, petit film italien qui étend l’idée du teaser de District 9 (un alien retenu dans une salle d’interrogatoire) à l’échelle d’un long métrage. Intriguant, le film finit par agacer, ennuyer, avant de se terminer avec une chute façon The Twilight Zone qui nous fait dire : « Tout ça pour ça ? ». Aliens toujours, mais en sous-vêtements avec le rigolo mais vraiment bizarre Invasion of Alien Bikini, venu de Corée du Sud. Impossible à résumer autrement qu’avec son titre (et son affiche un poil trompeuse), cette micro-production ubuesque et fauchée nous a fait nous gratter à plusieurs reprises le cuir chevelu.
Tout aussi brumeux, mais plus logiquement puisqu’il se déroule dans les Alpes suisses, l’imprononçable Sennentunschi envoie Roxane Mesquida dans les pattes de bergers sexuellement frustrés et d’un flic bonhomme qui mène l’enquête. Le cadre est époustouflant, mais l’histoire, qui se mélange les pinceaux dans ses lignes temporelles, aurait gagné à être bien plus claire, et plus ramassée.
Grande nouveauté de cette édition, la 3D n’aura sans doute pas été mieux représentée qu’avec Tormented, nouvel opus de Takashi « The Grudge » Shimizu, qui vaut surtout pour ses séquences de mise en abyme du format : les héros (un garçon et sa sœur martyrisés par… un lapin géant) sont à deux reprises « piégés » dans une salle de cinéma, où est projeté le précédent film du réalisateur, Shock Labyrinth, et d’où s’échappe (en 3D 3D-ifiée, donc !) un lapin en peluche. Un moment renversant, oasis d’originalité dans un film par ailleurs très oubliable.
Pas de pitié pour les navets
Qu’est venu faire Pierce Brosnan dans l’adaptation TV de Bag of Bones ? Il se le demande, et nous aussi.
Ce sont les impardonnables. Les navets qui gâchent une bonne journée de Bifff et font se prendre la tête à deux mains en signe de désespoir. Cette année le fond du panier était notamment représenté par la grosse production chinoise The Sorcerer and the White Snake, boursouflure numérique fréquentée par un Jet Li qui se permet de piller au millimètres des plans entiers de blockbusters occidentaux comme 2012 ou Le Seigneur des anneaux ; le huis clos en ascenseur Elevator, avec ses neuf personnages têtes à claques, qui débitent des dialogues sans queue ni tête pour remplir les quatre-vingt-dix minutes réglementaires ; le mélodrame « gangstérisant » Hindsight, soit un mélange des genres dans une ambiance culinaire qui n’a au final aucun goût ; la nouvelle adaptation de Stephen King Bag of Bones, mini-série pantouflarde et ringarde où erre un Pierce Brosnan en roue libre ; les proto-slashers Julia X et One Way Trip, déformés par une 3D inutile, et plombés par leurs scénarios d’une stupidité abyssale (ainsi qu’une direction artistique aux abonnés absents).
Une ultime pensée enfin pour Barbara Steele, qui avait l’air de s’embêter autant sur scène que les spectateurs l’ont été en regardant son Butterfly Room, thriller giallesque pour octogénaires où elle séquestre de petites filles ; et pour Shinya Tsukamoto, un temps l’idole du mouvement cyberpunk, qui a fait s’écrouler de rire la salle avec son inepte Kotoko, le public s’égosillant à reprendre les chansons de son horripilante héroïne, juste pour éviter de s’endormir. Merci pour le spectacle, amis belges.
Grand prix : The Awakening, de Nick Murphy (pas vu !)
Prix Spécial du jury : ex-aequo, Juan of the Dead, d’Alejandro Brugues et Tormented 3D, de Takashi Shimizu
Méliès d’Argent : Iron Sky, de Timo Vuorensola
Mention spéciale : The Sandman, de Peter Luisi (pas vu non plus)
Prix du Public : Iron Sky
Prix du 7e Parallèle : Himizu, de Sono Sion
Mention spéciale : Shuffle, de Kurt Kuenne
Prix du Thriller : The Whistleblower, de Larysa Kondracki
Mention spéciale : l’acteur Paul Rhys pour Eliminate Archie Cookson