Bilan de la soirée Halloween du 29 octobre à l’Hybride : petits et grands vampires

Article écrit par

L’Hybride, petit cinéma associatif lillois, proposait ce samedi 29 octobre une sympathique soirée Halloween autour des suceurs de sang. L’occasion de (re)découvrir trois longs métrages revisitant, chacun à leur manière, le mythe éternel du vampire.

Les programmateurs ont judicieusement choisi de faire précéder chaque film (Nosferatu, fantome de la nuit, Morse et Le bal des vampires) par des courts métrages en résonance thématique avec leurs homologues étirés en longueur.

Le roi des animaux

Nosferatu Tango, accolé au film de Werner Herzog, retourne l’habituel caractère maléfique du vampire en choisissant le point de vue étrange mais amusant d’une femelle moustique. De cette curieuse rencontre, un amour va naitre… Mignon et original, le film explore la thématique du non mort en optant pour un angle zoologique visant à offrir un portrait un peu plus plaisant du vampire.

Moins sympathique chez Herzog, le vampire (Klaus Kinski possédé… comme à son habitude) est toutefois tout aussi proche de l’animal. Sporadiquement, les plans de chauve-souris – que la photo sublime et la musique lunaire de Popol Vuh empêchent de sombrer dans le ridicule – transmettent à Nosferatu une aura bestiale plus appuyée que dans la version de Murnau. A ces plans, tenant du documentaire stylisé, s’ajoute une autre filiation animalière. Les dents de devant – proéminentes et pointues – les longues oreilles, les mains toujours collées au buste du vampire renvoient au rat. En plongeant profondément dans l’étymologie du mot nosferatu, on trouve un mot grecque, « nosophoros », désignant celui qui apporte la peste. La conclusion est aisée : le rat véhiculant la peste, Nosferatu est donc le porteur apocalyptique de la maladie.

Mais plus qu’une force surnaturelle et antéchristique (comme chez Murnau, où le vampire pouvait, de sa pensée, déplacer les cercueils), Nosferatu est un roi des rats humanoïde qui endure sa condition surnaturelle comme une maladie qui l’isole du monde et des femmes. Herzog repousse la religion à l’arrière plan et recentre son film autour de l’humain. Cet humanisme post romantique donne au personnage de Lucy (Isabelle Adjani, au jeu très expressif mais jamais horripilant) une épaisseur nouvelle. Jonathan Harker, sous les traits inexpressif du placide et génial Bruno Ganz, n’est ni le jeune et jovial suédois de Murnau, ni l’endive passive de Coppola. A travers son voyage, appuyé par une esthétique friedrichienne (peintre du « Voyageur au dessus de la mer de nuage ») et contemplative, le Harker d’Herzog plonge en lui même et devient la progéniture inhumaine du Nosferatu. Ne reste plus que Lucy pour sauver son village de la menace vampirique.

En 1922, elle agissait comme bras armé symbolique des forces divines. En 1979, elle devient une guerrière aux avant poste d’une lutte étrange, ambiguë dans son érotisme. Un combat qui oppose un monstre sensible et mortifère à une vierge sacrificielle (voir suicidaire) poussée par l’ambivalence de ses sentiments – entre dégout et attirance – pour l’intrigante bête.

Les enfants de la nuit

Femme forte et vampires meurtris sont aussi au menu du Morse de Tomas Alfredson. En revanche, ça n’est plus dans un corps d’homme adulte que le vampire saigne les vivants, mais dans celui d’une enfant de 12 ans. Ce visage à la fois fascinant et ingrat – de beaux yeux bleus mais un nez gros comme un patate – s’apparente par moment à la projection mentale d’Oskar, le personnage principal.

Le portrait de ce paria des cours de récréation répond, en opposition presque totale, à celui de la (faussement) jeune Eli. Blond et brune, timide et violente, voix aigüe et timbre rauque… Oskar, harcelé et violenté par certains de ses camarades, trouve en Eli la concrétisation de sa rage intérieure. Morse semble atteindre une hybridation assez unique dans sa façon de dépeindre les enfants de la nuit. Alfredson mêle le film de vampire au drame sentimental et social et crée une forme assez étrange de teen movie suédois.

Malgré le rejet hors champ de la sexualité, on décèle tout au long du film des caractéristiques propres au genre. Ces tout jeunes adolescents vivent dans un monde cloisonné ignoré des adultes. Fortement appuyé, la figure de l’adulte défaillant se voit représentée dans toute son effrayante diversité. Du groupe d’alcooliques – toujours accoudés autour d’une bouteille d’alcool – jusqu’à la mère d’Oskar, qu’un mur ou une porte vient presque constamment séparer de son fils, l’adulte cohabite avec l’enfant sans jamais le comprendre.

Sous cet angle, le personnage d’Eli peut être perçu comme la déviation fantastique de l’archétypal adulte régressif. Son vampirisme devient une maladie incurable – on peut assimiler ses pulsions meurtrières à de monstrueux symptômes – transformant son corps de petite fille de douze ans en prison. Le second vampire du film, Yvonne, souligne cette assimilation du vampirisme à une maladie ; elle refuse la transformation et vit sa nouvelle nature comme une terrible infirmité.

La force torturée de ce personnage féminin unit Morse au court métrage le précédant. Au pays des têtes de Claude Barras et Cédric Louis est un joli conte décalé narrant les malheurs d’un vampire soumis aux terribles envies de sa cruelle femme. De ses envies mortelles de coquetterie, la vieille nosferatu force son mari à jouer au Frankenstein amateur pour littéralement changer de tête. Cet amusant court sans prétention rappelle les grandes heures du fantastique rieur des années 80, Gremlins et Beetlejuice en tête.

Encore et toujours Burton, avec l’expéditif et sympathique The unsucksessful vampire, qui renvoie dos à dos l’expressionnisme allemand et l’auteur de Sleepy Hollow. Cette rapide biographie d’un vampire looser évoque fortement, par sa voix off explicative, le Vincent du réalisateur américain.

Soupe au vampire

Seule ombre au tableau de cette agréable soirée, le soporifique Bal des vampires de Roman Polanski. S’annonçant comme une alléchante parodie de film de vampire, cette comédie du réalisateur polonais peine à soulever les zygomatiques.

Le professeur Abronsius et son fidèle assistant Alfred (Roman Polanski, dans un rôle à la hauteur de son film) se rendent en Transylvanie, à la recherche de vampires à annihiler. Les deux chasseurs de vampires profitent de la présence d’une curieuse auberge pour commencer leur investigation. De nombreuses péripéties les mèneront au château du comte Koukol, maitre des vampires de la région.

Le bal des vampires offre un triste spectacle à tous ceux que l’exquis tragi-comique de Cul-de-sac pouvait sensibiliser. Le tragique est effacé au profit d’un comique navrant que seul la photographie, léchée par une colorisation luxueuse et contrastée, sauve du naufrage. Du casting de Cul-de-sac, Polanski conserve Jack MacGowran et étire son rôle pour notre plus grand déplaisir.

Mais ne soyons pas trop mauvaise langue avec ce pauvre MacGowran, son déguisement de Groucho Marx du dimanche étant peut être imputable avant tout à l’incompétence d’un Polanski gérant mal l’accumulation des postes. Ce ne sera en effet qu’à partir de l’excellent Locataire que le cinéaste pourra se vanter de pouvoir être bon à la fois devant et derrière l’objectif.

A ce jeu d’acteur douteux, Polanski ajoute un genre comique qui ne manque habituellement jamais son but :  le slapstick, soit rien moins que la base de l’humour cinématographique, à laquelle les chefs d’œuvre de Chaplin et Keaton ont donné ses lettres de noblesse. Choisir d’incruster du burlesque dans une parodie vampirique était sur le papier une excellente idée. Seulement, ce genre demande un savoir faire que le réalisateur était loin de maitriser en 67. Aux gags burlesques du Bal des vampires manquent la démesure et la folie d’un Frigo Déménageur de Keaton. Le niveau des blagues dépasse rarement celui de la peau de banane et du seau sur la tête.

Ce qui manque cruellement à ce bal, c’est un peu de mouvement, de folie, d’extravagance. Excepté le vampire juif insensible aux croix et le fils homosexuel du Comte, rien ne vient perturber la terrible mollesse d’un film à jeter au fond d’une crypte. Les plus grandes comédies (et je ne parle pas ici des films aux tons composites comme Cul-de-sac) offrent au spectateur un déluge de corps, un rythme effréné, des décalages saisissants. Que serait la folle histoire du monde sans la séquence de comédie musicale qui voit un Torquemada (célèbre figure de l’inquisition espagnole) danser pendant dix folles minutes ? Pourrait on rire d’un Sens de la Vie évacué de tout commentaire corrosif sur le monde contemporain ?

Lors d’une interview, l’auteur de bande dessinée Joann Sfar déclarait : « On ne choisit pas l’auteur qu’on est. Quand j’essaie de dessiner des barbares, au bout de deux pages, ils font marrer. C’est comme ça. Je suis un auteur de comédie. ». Triste de constater que cet axiome ne résonnait pas dans l’esprit du Polanski de 1967…

Mais ne boudons pas notre plaisir et saluons l’équipe de l’Hybride pour cette soirée globalement agréable et indéniablement intéressante.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi