Cinématographiquement parlant, Big Fish est également à l’opposé de toutes les premières réalisations plutôt sombres de Tim Burton. Si on devait malgré tout trouver des films qui ressemblent à Big Fish dans la filmographie burtonienne, on pourrait parler de Pee Wee et d’Edward aux mains d’argent qui présentent le même panel de couleurs chaudes, limites saturées par moment, pour donner un lustre parfait et guimauve au monde imaginaire dans lequel il nous entraîne. Ainsi, dans Big Fish, Tim Burton fait triompher la lumière et n’hésite pas à habiller ses siamoises avec des paillettes, à illuminer Spectre de mille et un feux, à filmer un parterre de jonquilles tellement jaune qu’on le confondrait avec du doré… Comme si, pour lutter contre la disparition de quelqu’un, le garder « en couleurs » suffisait.
Etrangement, bien qu’il aborde un sujet particulièrement personnel, c’est la première fois dans ses réalisations, qu’il fait sciemment la différence entre le monde « réel » et l’imaginaire. Cette distinction est rendue visuelle grâce, ici encore, à la lumière et aux couleurs qu’utilise Burton. Comme nous le disions plus haut, dans le monde rêvé, les couleurs sont chaudes et joyeuses alors que dans le monde réel, les couleurs sont ternes et tristes. Au fil de l’histoire entre ce père farfelu et ce fils terre-à-terre, on voit évoluer la relation filiale : alors qu’au départ, le fils traitait son père de menteur, les mensonges deviennent des « améliorations de la réalité » puis, le fils finit par lui-même déformer le réel et narre la manière dont son père meurt (ou plutôt se transforme en poisson chat géant) dans le monde imaginaire. Tout le long du film, les frontières entre l’imaginaire et le réel se brouillent. Où s’arrête le réel, où commence le rêve ? Burton nous donne la force d’y croire et réveille l’enfant, la magie et l’imagination qui sommeillent en chacun de nous. C’est le moteur de Big Fish (et celui finalement, de la majorité des films de Burton), celui qui fait que pendant les scènes dans la vie « réelle », qui manquent pour certaines d’intérêt et cassent le rythme du film, on n’a qu’une envie : retourner dans le fantastique pour connaître d’autres contes, d’autres histoires. Comme si, pour Tim Burton, la vraie vie, trop prosaïque, ne valait pas le coup d’être vécu et qu’il valait mieux rêver sa vie pour lui donner du lustre, des étincelles !
Car les histoires, les contes de fées, c’est ce que Tim Burton raconte le mieux. Dans Big Fish, on croise un géant gentil, des siamoises immigrées aux Etats-Unis, un village parfait, une sorcière qui prédit la mort… pendant deux heures, on rêve éveillé au rythme de la musique parfaite de Danny Elfman (le musicien fétiche de Burton) et grâce à une bande d’acteurs admirables, Ewan McGregor et Helena Bonham Carter en tête. Big Fish est un conte où la magie des images et des histoires de Tim Burton opère pour lutter contre le prisme de la mort et rendre la vie éternelle. Un film inégal, notamment dans les scènes de la vie « réelle ». Mais il reste empli de poésie et de romantisme et l’on prend toujours le même plaisir à regarder pour prolonger encore et encore ces histoires à dormir debout si rassurantes.