Est-ce pour cela que l’équipe organisatrice, qui s’est encore mise en quatre pour conjuguer cinéphagie et bonne humeur pendant treize (!) jours de projections, a parsemé son programme de bons gros nanars ? Peut-être que oui : l’année 2011 aura été ainsi marquée par l’abondance de séries Z nippones, ayant toutes à voir ou presque avec le studio Sushi Typhoon.
"You want to see "crazy director" ?"
Il n’y avait qu’à voir les équipes des films menées par Yoshihiro « Crazy Director » Nishimura, tantôt habillées en ninjas, en sumos ou tout simplement tout nus, venir présenter leurs œuvres à une audience remontée à bloc, pour comprendre que le principal intérêt de la séance était plus dans la salle que sur l’écran. Il y a sinon peu d’intérêt à regarder des bandes aussi fauchées (et gore) que Alien vs Ninja, Horny house of horror ou Helldriver. En dehors de ces projections de minuit, le festival n’a une nouvelle fois pas été avare en découvertes de qualité, de genres et de nationalités très différentes.
Le diable au rendez-vous
Difficile de manquer également, du côté de la Corée du Sud, le terrifiant I Saw the Devil. Comme pour remonter le niveau d’une sélection coréenne représentée par des productions commerciales formatées et aux recettes narratives éculées (Midnight FM et son fanboy psychopathe de pacotille, Bestseller qui pille sans vergogne à la fois L’Orphelinat et Hypnose), le dernier film de Kim Jee-Won (A bittersweet life, Le bon, la brute et le cinglé) a mis, en deux heures et demie d’une extrême tension, tout le monde d’accord. L’histoire est d’une simplicité propice à tous les débordements : un agent secret traumatisé par la mort de sa petite amie, découpée en morceaux par un serial-killer, s’acharne à retrouver ce dernier pour lui faire subir les pires sévices. Le thème de la vengeance est loin d’être nouveau en Corée du Sud, mais rarement aura-t-il été illustré de manière aussi opératique et brutale : esthète parfois poseur et dispersé, mais toujours efficace, Kim Jee-Won s’est cette fois surpassé pour donner du souffle et une vraie résonance à cette histoire sordide. Un véritable chef-d’œuvre, pour ceux qui ont le cœur bien accroché.
Du sabre, des clochettes et des coups de pelle
Objet d’un véritable buzz sur Internet, le Finlandais Rare Exports s’inspire avec malice d’une légende locale, et pas n’importe laquelle : celle du Père Noël. Sauf que celui du film de Jalmari Helander n’est pas du genre « Coca-Cola », plein de bonhomie et de tendresse pour les enfants. Il aurait plutôt tendance à vouloir les fesser, puis pourquoi pas les manger. Sa véritable nature est le seul véritable rebondissement d’un film visuellement généreux et spectaculaire, rappelant le cinéma de Joe Dante, mais trop timoré dans son approche pourtant sombre de la plus tenace des légendes de notre temps.
Le sourire, les amateurs de cinéma asiatique l’avaient tous les jours durant ce Bifff : les retour de Takashi Miike, justement, et John Woo ont été célébrés comme il se doit. Le premier livrait, non pas son remake de Hara-Kiri (présenté à Cannes) mais celui de 13 assassins, un chambara étonnamment traditionnel, parsemé de quelques touches bizarres typiques de l’auteur (une femme sans membre, des bisons en feu), mais avant tout classique. Cette histoire de samouraï devant assassiner un tyran sanguinaire se termine dans un long – voire interminable, pour certains – combat à treize contre deux cents, où nos héros réduisent méthodiquement un village en cendres.
Epique, tout comme Reign of Assassins, co-réalisé par l’auteur de The Killer, qui lui aussi rend hommage aux maîtres des seventies, Chu Yan en tête. Intrigue mélo à tiroirs, décors somptueux reconstitués en studio, combats virevoltants et complexes, premier degré assumé… Rien ne manquait à l’appel !
Spécialité de la maison, la mise en valeur de films indépendants, souvent présentés en première mondiale, a permis de découvrir quelques œuvres intéressantes : on ne sait que dire du Yellowbrickroad de Jessy Holland et Andy Mitton, mais cette histoire de sentier maléfique où une équipe de chercheurs perd peu à peu la raison à force d’entendre du jazz cabaret sortir des bois (!) nous a fait penser très fort à du David Lynch lo-fi. Sur le thème très usé du vampire urbain, Midnight Son a tiré son épingle du jeu, par son minimalisme intelligent, et son acteur principal, idéal interprète d’un noctambule devant gérer une progressive envie de sang bien gênante.
are exemple de science-fiction réaliste, Transfer et son histoire de corporation proposant de transférer les âmes de personnes âgées dans des corps jeunes et athlétiques, a fait l’unanimité, par sa sobriété de ton et sa pertinence ; enfin, l’Argentin Phase 7 et son virus vu de l’intérieur d’un immeuble, par ses ruptures de ton maîtrisées, sa musique carpenterienne, son humour pince-sans-rire et sa violence sèche, a fait mouche.
Dans le genre Ovni sorti de nulle part, la palme peut sans aucun doute être attribuée au japonais Milocrorze. Premier film d’un célèbre clippeur inconnu chez nous, Yoshimasa Ishibashi, cette œuvre barrée a pour sous-titre « A love story ». Et c’est bien le seul lien imaginable entre chacune des histoires racontées ici, avec force envolées pop et saillies musicales ou sanglantes (dont un plan-séquence qui ridiculise 300 en deux minutes chrono) : un petit garçon qui tombe amoureux d’une femme inaccessible, un conseiller amoureux très spécial, un samouraï qui taille ses ennemis en pièces pour retrouver sa belle… Entre Terry Gilliam, Austin Powers et Takashi Miike, Milocrorze est une découverte irrésistible, qui n’a aucune autre envie que de nous mettre le sourire aux lèvres.
Le Bifff était aussi garni de films moyens, souvent en deça de leur réputation acquise, magie d’Internet, grâce à de précédents festivals. Projeté dans des conditions techniques calamiteuses, Stake Land n’a pas soulevé l’enthousiasme. Ce mélange ambitieux entre La Route et Zombieland, dont le naturalisme évoque plus d’une fois le récent Winter’s Bone, a parfois les yeux plus gros que le ventre, et une agaçante voix off empêche de plonger plus adroitement dans ce voyage initiatique au cœur d’une Amérique peuplée de vampires et de chrétiens extrémistes, même si le film a de réelles qualités et une sincérité à toute épreuve.
Même constat pour Wake Wood, portant la marque du studio Hammer : l’ambiance de cette fable noirissime est certes conforme à l’imagerie de la firme (un village campagnard porteur d’un sombre secret, des rites sataniques, une omniprésence de la nature vue comme maléfique), et le film est porté par un casting judicieux et une photographie inspirée, mais le tout évoque trop Simetierre pour étonner. Les effets « cuts » hors-propos qui parsèment le film, achèvent de faire baisser la note.
Décevant lui aussi, Mother’s Day tente de renouveler, comme Kidnapped le sous-genre du « film d’invasion ». Le film, trop long et souvent invraisembable, vaut surtout pour la prestation de Rebecca de Mornay, impeccable en marâtre sociopathe, et sa galerie inhabituelle de personnages égoïstes, menteurs et lâches, appelés à trépasser si possible violemment.
Le fond du panier
Impossible de terminer ce panorama sans une pensée pour les œuvres fauchées, ratées, ou tout simplement imbuvables qui ont animé cette quinzaine. Passons sur les tortures insoutenables que furent les projections de Prowl (des vampires, une usine, beaucoup de baîllements), Eaters (le non-renouveau du film de zombie italien), et Siren (qui n’a rien d’idyllique, ni d’enchanteur). Le Marocain Mirages, malgré son ambition et ses bonnes idées, est un pensum interminable et visuellement hideux qui tente de mixer une ambiance de Quatrième dimension à des questions de société.
Venu du Kazakhstan, Strayed marche éhontément sur les plates-bandes de Tarkovski, mais son huis clos à ciel ouvert se révèle d’un ennui et d’une prétention mortelle. Deux Français ont avoué avoir mis trois ans à réaliser le nanar Dark Souls en Norvège (!) : hormis une belle affiche, rien ne justifiait cet effort dans ce naufrage amateuriste peuplé de tueurs à la perceuse rendant un hommage sans doute involontaire à Abel Ferrara.
Régulier du festival, l’Américain Adam Mason a envoyé un Luster pas désagréable, mais pâtissant d’un script attendu, sur un thème largement rebattu (un type gentil possède une double personnalité maléfique). Malgré une ouverture tendue et un montage rigoureux, Territoires et ses anciens militaires qui rejouent Guantanamo dans leur cabane manque sa cible, la faute à un troisième acte totalement raté. Tape-à-l’œil, vulgaire et d’une misogynie effarante, Neon Flesh était le polar « snatchesque » de l’année, une odyssée clinquante mais d’une belle vacuité sur l’amour entre une petite frappe et sa mère, une ancienne prostituée sortie de prison.
Menu pantagruélique, effectivement que celui proposé cette année ! Et l’aventure ne s’arrêtera sans doute pas là : le vénérable Bifff fêtera l’année prochaine son 30e anniversaire, avec sans doute encore beaucoup d’animations dans les travées pour le célébrer…
Grand prix : I Saw The Devil.
Prix Spécial du jury : Midnight Son et Detective Dee.
Mélies d’Argent : Transfer
Mention spéciale à Troll Hunter pour son apport scientifique déterminant dans la connaissance des Trolls.
Prix du Public : Rare Exports: A Christmas Tale
Prix du 7e Parallèle à The Temptation of St. Tony
Mention spéciale à Mirages
Prix du Thriller à Territoires.
Mention spéciale à Kidnapped