Better Things

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Hopkins se revendique volontiers de la « tendance sociale réaliste » du cinéma anglais, manière de réaliser des films à partir du réel le plus brut qui a donné parmi les plus grands noms du cinéma actuel, d’Alan Clarke à Mike Leigh, en passant par Ken Loach. Better Things suit une série de personnes vivant […]

Hopkins se revendique volontiers de la « tendance sociale réaliste » du cinéma anglais, manière de réaliser des films à partir du réel le plus brut qui a donné parmi les plus grands noms du cinéma actuel, d’Alan Clarke à Mike Leigh, en passant par Ken Loach.

Better Things suit une série de personnes vivant dans la campagne anglaise, jeunes et vieux, dans leur vie quotidienne. Minés par l’ennui, des doutes quant à leur avenir ou l’usure des sentiments, tous font la difficile expérience de l’engagement dans la vie et l’amour dans un univers dominé par la mort ou sa menace constante. Et tous cherchent des échappatoires à leur existence morne, que ce soit par la drogue, la lecture de littérature sentimentale ou encore le silence.

Le film pousse très loin l’écriture réaliste : il est un mélange de documentaire et de fiction. On sent qu’Hopkins maîtrise cette esthétique qu’il a déjà creusée dans deux documentaires (Field en 2001 et Love Me or Leave Me Alone en 2003) ; et s’il raconte une histoire fictionnelle, il choisit de la faire jouer par des acteurs non professionnels, dont certains ont vécu les situations qu’ils représentent (certains jeunes sont d’anciens drogués).

Cela dit, Hopkins n’imite en rien ses illustres inspirateurs et développe son propre style : il se défait des problématiques socio-politiques généralement attachées à son sujet, d’abord en le situant dans la campagne anglaise, non en ville, optant pour un angle inhabituel et bienvenu. Par ailleurs, son propos n’est pas d’expliquer ni d’analyser – il est surtout de sonder la difficulté à entrer en relation et la souffrance qu’elle génère.

Dès les premières minutes, le film est redoutable : happé par les paysages battus par le vent et les bruits de l’orage qui approche, le spectateur s’embarque aux côtés des protagonistes, au moment où quatre des plus jeunes d’entre eux enterrent une de leurs amies morte par overdose. Et bientôt, le film enserre le spectateur dans l’atmosphère asphyxiante de ce monde coupé de tout et où ne semble rester que le néant.

C’est dire la puissance de la réalisation, qui fait ressentir quasi physiquement le malaise d’une société qui s’abandonne dans la drogue et l’amour malheureux. Il met le spectateur sous tension constante, grâce à une mise en scène jouant sur deux registres, à la fois naturaliste et stylisée, réaliste et poétique. Ce qui frappe d’abord – et séduit au début – est l’utilisation du montage : scènes découpées comme des instants fugaces et pourtant si marquants, moments d’attente devant la maison du dealer, moments de lecture solitaire, de défonce ou de sorties en voiture à rouler à vive allure sur des routes de campagne abandonnées et sombres. Autant de scènes qui se juxtaposent, s’entrechoquent avec celles où la caméra se pose sur les visages et exprime le tréfond de leur âme, l’espoir que la vie peut être belle et emplie d’un amour simple et durable.

Le film est donc tout entier dans cette double dynamique, constat amer de la vacuité d’une existence et regard métaphysique sur la possibilité d’une élévation. Car le film devient une véritable méditation sur l’engagement envers soi-même, envers l’être aimé et envers la vie. Il exprime tout cela avec force et justesse et parle dès lors de l’impossibilité à communiquer, si contemporaine, résumée ici par l’absence quasi totale de liens intergénérationnels, principalement entre les jeunes et leurs parents.

Mais le style étouffe peu à peu le propos. A ce titre, l’idée de parler de deux générations déséquilibre le film. Jeunes et vieux se font écho, car ils sont pris dans les mêmes problématiques. Pas sûr qu’Hopkins ait trouvé là une bonne idée – en tout cas, il ne la fouille pas assez, son traitement de l’amour vieillissant restant trop superficiel. Il est bien meilleur lorsqu’il traite des adolescents ; à scruter leurs tourments, leur aspiration à des « choses meilleures » qu’annoncent le titre (la sécurité, la stabilité sentimentale et le bonheur), il se rapproche d’un Gus Van Sant, quoique plus direct et cru dans la façon de les regarder.

En définitive, le film se clôt sur une impression étrange. Plus que de lui plaire ou de l’interpeller, le film réussit avant tout à troubler le spectateur, mais pas forcément de son plein gré. Alors que celui-ci pourrait être tenté de détourner le regard, Hopkins lui impose de regarder en face ces vies fragiles. Le cinéaste pousse le spectateur à délaisser le confort de ses repères : ceux-là explosent littéralement sous l’âpreté du film et laissent place à une méditation lavée de tout jugement et de tout pathos. Alors Better Things, véritable expérience de cinéma et de sensations, laisse sonné. Et offre tout de même une lueur d’espoir à qui accepte de faire cette expérience peu commune.


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