Beaucoup de bruit pour rien

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<< Soyez pimpantes et gaies ! >>

Pas l’ombre du scalp blond platine d’un Spike (James Marsters) dans cette adaptation de Beaucoup de bruit pour rien réalisée par le fameux scénariste de l’inénarrable Buffy contre les vampires. Nous sommes déçus… d’autant que tous les amis de Joss Whedon se sont réunis pour tourner « en seulement 12 jours » (1) cette adaptation du blockbuster de Shakespeare. Heureux élus, ce sont la trop fade Amy Acker de Angel, et Alexis Denisof – plutôt bon en Wesley dans la série Buffy – qui tiennent respectivement les rôles titres de Beatrice et Benedict.

Le dossier de presse du film nous informe que « depuis des années, Joss et Kai [sa femme], passionnés par le théâtre de Shakespeare, organisent des lectures de ses pièces avec leurs amis et collègues. Des acteurs formés au jeu théâtral et des novices se retrouvent ainsi chez eux pour interpréter ces textes classiques. Quand Joss prend en 2011 la décision de travailler sur le texte de Beaucoup de bruit pour rien, aucun des acteurs ne s’étonne. Tous pensent qu’il s’agit d’une lecture de plus, en présence d’une caméra, pour un enregistrement rapide ». Une équipe prête à filmer les attend donc dans la villa du couple Whedon pour immortaliser en vitesse cette petite sauterie autour de la piscine.

 

Il serait ainsi abusif de voir dans cette joute de pingouins mâles attifés de costards une adaptation parodique de Shakespeare dans les banlieues chics de Beverly Hills, plantées de villas décorées comme des caniches. C’était pourtant la seule audace apportée au texte original que Whedon a sciemment voulu moderniser, pourtant, en sautant sur le mauvais cheval. Nous ne comprenons toujours pas le besoin qu’a éprouvé le réalisateur de placer derrière une tirade de Beatrice un flashback sous-entendant que les deux protagonistes auraient déjà eu une liaison avant de se retrouver pour se chamailler de nouveau. Peut-être s’est-il dit que personne aujourd’hui ne pourrait avaler les questions d’honneur relatives à la virginité des futures épouses ? La transformation de Beatrice en célibataire contemporaine sexuellement émancipée aurait pu tenir le coup si le texte et le scandale autour d’Hero ne venaient constamment entamer cette idée scénaristique que Whedon n’a fait qu’ébaucher sans l’approfondir.

Pour cause, puisqu’il n’a retenu que l’apparente gaieté d’une comédie certes flamboyante mais terriblement critique sur le statut de la femme et la lâcheté égocentrique des hommes, qui seraient prêts, rappelons-le, à sacrifier leurs filles sur l’autel de leur orgueil. La mise en scène de la bêtise – dont le personnage de Dogberry s’avère une manifestation clownesque – et du cirque humain – que Shakespeare s’est toute son œuvre attaché à transcender – perd ici tout son souffle et son potentiel de causticité sous les litres d’alcools dispendieux que les acteurs descendent en toute désinvolture. Vu sous cet angle, on suppose également que le noir et blanc a été choisi pour donner un vernis aristocratique a l’image, veloutée mais sans éclat. Il y a en vérité peu de commentaires à faire sur cette adaptation de Whedon qui ne pèche en rien, sinon pour avoir donné au splendide texte original le charme d’une rose flétrie, au regard de la fiévreuse exubérance de l’adaptation de Kenneth Branagh sortie il y a déjà plus de vingt ans… et dont les costumes étaient moins trendy, mais les acteurs, délicieusement possédés.


(1) D’après le dossier de presse du film. 

Titre original : Much Ado About Nothing

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Durée : 108 mn


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