Devant faire face à la colère de certains fans – plus ceux de la kitchissime série télé des 60’s que les admirateurs de la mythologie crée par Bob Kane – , Burton s’enferme dans les studios Pinewood pour ramener à l’univers de l’homme chauve-souris un peu de sa noirceur. Difficilement imposé par le réalisateur, Michael Keaton marquera longtemps de son empreinte le personnage de Batman – seul Christian Bale dans les films de Christopher Nolan tirera par la suite son épingle du jeu (1), -, composant un Bruce Wayne lunaire en opposition à un Batman froid et ambigu : à plusieurs reprises, sa violence manque de franchir la ligne entre justicier et simple assassin. Mais la vraie star du film est le Jack Napier/Joker sous le maquillage duquel Jack Nicholson fait son numéro. Cabotin, déjanté, violent, l’acteur alors à un sommet de sa carrière (Shining est encore frais dans les têtes) propose une interprétation en roue libre jubilatoire. À tel point que Burton lui-même semble plus se reconnaître sous ce masque d’Homme-qui-rit que sous celui de la chauve-souris. Artiste frustré, le Joker revenu à la vie milite pour une « nouvelle esthétique » dans laquelle on retrouve la patte de Burton et son amour des freaks et marginaux souvent difformes. Mélange de film noir des années 50 et de science-fiction langienne (Metropolis), Gotham City est plus proche de la vision de Bob Kane, créateur du personnage, mais Burton lui fait une entorse tout sauf minime. Chez lui, Batman et Joker sont liés par un destin commun : le Joker crée le Batman, le Batman crée le Joker. Entre les deux se trouve probablement Tim Burton. Deux figures aux instincts sombres. Reste peu de place pour une figure positive.

À travers la figure du Penguin (tétanisant Danny de Vito), Burton creuse encore ce même thème. Laissant un temps l’illusion d’une réelle tentative de réconciliation avec la surface, l’orphelin manchot Oswald Cobleppot est une sorte de Tim Burton versant politique. À travers l’ascension puis l’acceptation par le tout Gotham du monstre, on peut voir Burton dépeindre son propre parcours dans l’industrie hollywoodienne. D’abord placardisé à ses débuts chez Disney puis petit à petit reconnu jusqu’à prendre le pouvoir sur les executives du studio. La triste fin du Penguin, filmée avec une tendresse tragique, anticipe presque le retour de bâton que Burton subira par la suite avec Ed Wood, Mars Attacks (et leurs maigres scores au box-office) puis La Planète des Singes (dans lequel, ayant perdu de son influence à contrôler une production, il ne remplit plus qu’un rôle de faiseur). Mais entre Batman et Batman le Défi, le freak a pris le pouvoir. Et si le second fait partie de ses œuvres maîtresses, on peut malgré tout garder une véritable tendresse pour le charme du premier, film-malade qui met un sérieux coup à la supposée innocence des années 80.