Avant l’aurore

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Dans le cadre du Cambodge dévasté, ce deuxième long métrage rate un peu sa cible mais impose des images et des personnages chocs.

Sur les ruines fumantes d’une grande civilisation

Le deuxième long métrage de Nathan Nicholovitch, après Casa Nostra déjà présenté à Cannes en 2012 dans le cadre de l’ACID et le court métrage, No Boy, présenté en 2013 à Clermont-Ferrand, se passe dans les ruines du Cambodge dévasté par les Khmers rouges et qui se livre sans hésitation au capitalisme sauvage, en ignorant tant de laissés pour compte qui se livrent à la drogue, à l’errance, à la prostitution. Mis en lumière par le directeur de la photographie, Florent Astolfi, ce film qui s’est appelé d’abord De l’ombre il y a, se donne avant tout justement comme une réflexion sur l’image, sur la beauté des êtres perdus qu’on rencontre dans les ruines d’une grande civilisation, celle du Cambodge dont il ne reste ici que des recoins, des bribes, des traces souillées par la misère et la trahison. Ainsi que l’écrivait Paul Valéry à la fin de la Première Guerre mondiale, « nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »

 


Des personnages hors du commun

Mais la mission première d’Avant l’aurore, malgré son sujet particulièrement prégnant, n’est pas de dénoncer une politique ou une société, mais de présenter des personnages hors du commun qui tentent par tous les moyens de renaître ou de se transformer, comme c’est le cas de Mirinda, superbement interprété par David D’Ingéo, qu’on avait déjà découvert dans le premier long métrage du réalisateur. À l’origine de ce long métrage en couleurs, un projet de court métrage pour Nathan Nicholovitch, qui se rend au Cambodge en compagnie de David D’Ingéo et de Jeff Goin, chef opérateur, des amis de longue date et qui reçoivent en plein visage la tragédie cambodgienne. « Phnom Penh, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film, […] ses odeurs, sa langueur, son chaos… Des enfants en guenilles mendiaient, des hommes dormaient sur leur mototaxi, des grand-mères regardaient dans le vide. Une animation foisonnante qui, brutalement, au détour d’une rue, faisait place au vide et à l’obscurité […] comme des traces de Phnom Penh vidée de ses habitants en avril 1975. » Si cet aspect du film est bien développé, on pourrait toutefois déplorer que le réalisateur change d’idée en cours de route et en fasse un long métrage, malheureusement un peu trop long car l’intérêt se dilue tout au long de cet amoncellement d’images tragiques et douloureuses, et parce que Nathan Nicholovitch a trop voulu traiter de problèmes dans son film, comme s’il y mettait toute sa révolte et, paradoxalement, toute sa poésie : travestissement, prostitution, capitalisme sauvage, aide humanitaire un peu dévoyée, drogue, etc.

 

 

Une série de mini-événements

La première partie du film est magnifique, se déroulant dans une mise en scène à la fois peu disserte mais percutante, mettant en scène de petits événements qui prennent lentement et obstinément toute leur force. Mais peu à peu, en compliquant un scénario qui aurait dû rester pointilliste, le réalisateur se perd dans les méandres d’une ville peu encline à la lumière, et un pays détruit dont on voit mal comment il pourrait se reconstruire sur ces ruines encore fumantes. L’arrivée de la petite Panna, enfant vendue par des parents misérables pêcheurs, prostituée puis recueillie par Mirinda, représente certes le point d’acmé du film mais reste malheureusement un peu trop anecdotique, sinon pour expliquer le changement radical du personnage central qui va peu à peu se sentir devenir père, et va quitter l’immédiateté de sa vie de travesti, livré au jour le jour, à la lutte contre la vieillesse et à la drogue. Ce reproche n’enlève rien à la beauté du film, au don de soi de tous les acteurs, et au jeu particulièrement remarquable de tous les protagonistes du film, acteurs professionnels et non professionnels. Et bien sûr consacre le talent de David D’Ingéo qui livre ici un personnage particulièrement présent et pathétique. « La question pour moi, déclare Nathan Nicholovitch, n’est pas de savoir s’il est vraisemblable qu’un Occidental de 45 ans se travestisse et se prostitue au Cambodge, mais de composer avec David une figure originale et contemporaine qui porterait les stigmates de notre temps et serait susceptible de révéler un état du monde dont il traverserait les couches les plus délabrées. » Avec Mirinda, sorte de pendant funèbre de la Divine d’Andy Warhol, David D’Ingéo nous offre un personnage hautement cinématographique, représentatif de la déshérence du monde occidental en partie responsable de ce cataclysme extrême-oriental.

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Durée : 105 mn


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