Entretien avec Andrzej Wajda

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Une rencontre tout en douceur avec le cinéaste Andrzej Wajda, de passage à Paris à l’occasion d’une double actualité : un nouveau film, « Tatarak », et une rétrospective à la Cinémathèque française.

Wajda est de retour ! Bonne nouvelle, même si cette figure de proue du cinéma polonais ne s’est jamais absentée longtemps du grand écran, ce depuis… 1954 ! Un nouveau film, Tatarak, élégiaque et doux à la fois, en salle à partir du 17 février. Une rétrospective à la Cinémathèque française jusqu’au 21 mars, juste hommage à celui qui a « repoussé toujours plus loin les limites de la censure polonaise« , selon les mots d’Andrzej Seweryn, l’un de ses comédiens fétiches. Il fallait bien, sans doute, un tel élan pour accompagner l’ampleur d’une œuvre dédiée à la mémoire et à l’héroïsme. Mais pas seulement. Andrzej Wajda, 80 ans et des poussières, s’il reste prophète en son pays, témoigne pourtant d’un calme apaisant en entretien. Raccord avec ce nouvel opus, au fond, nimbé de lumière tandis qu’il ne parle que de perte et d’absence… Un tendre crépuscule…

L’histoire est l’un des motifs récurrents de votre filmographie. Singulièrement dans Katyn, votre dernier long métrage, en 2007. Or, Tatarak semble échapper à cette obsession…

Oui, enfin, je ne suis pas obligé d’être un réalisateur de films historiques non plus (sourire) ! Il y a d’autres sujets proches de mon cœur. Il n’est donc pas nécessaire que je m’enfonce toujours dans ces questions du passé… Cela dit, Tatarak se passe aussi en partie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y a donc des liens entre le passé et aujourd’hui ! Tout simplement, peut-être, parce que ce film aborde un problème éternel : le fait que les gens nous quittent…

Précisément : ce nouvel ouvrage est tout entier traversé par les notions de mort et de perte, mais, en même temps, il est constamment lumineux !

La mort, c’est quelque chose qu’il faut accepter, ça ne marche pas sinon ! La révolte contre la mort ne mène à rien, surtout à mon âge… Après cinquante films, je ne peux quand même pas faire semblant de vouloir en faire cinquante autres ! C’est pour cela que dans Tatarak, il me semblait que l’on avait besoin de douceur, d’une certaine délicatesse. Bien sûr, dans le film, il y a la mort du jeune homme, c’est révoltant, ça ne devrait pas arriver… Mais si l’on considère la mort en tant que telle, elle ne peut être qu’inéluctable…

Tatarak est nanti d’un dispositif particulier. D’abord, il y a, dans une chambre d’hôtel, les monologues de l’actrice Krystyna Janda sur le décès de son mari, le chef opérateur Edouard Klosinski. Et puis, se mêlent à ces scènes, celles adaptées du récit de Jaroslaw Iwaszkiewicz, accompagné d’éléments empruntés à Sandor Màrai. Enfin, il y a le tournage, le film à l’intérieur du film…

Dès le départ, je savais que je ferai un film en deux parties. A l’origine, il y a le texte de Jaroslaw Iwaszkiewicz : cela faisait longtemps que je pensais l’adapter au cinéma, mais il était très court. Et je n’avais pas envie de le faire pour la télévision, cela aurait été du gaspillage ! Donc j’ai rebondi, sur les conseils de mon médecin, sur un autre récit, celui du grand écrivain hongrois Sandor Màrai, tout à fait dans l’esprit que je recherchais. Mais comme je n’avais toujours pas assez de matière, j’ai pensé à un récit contemporain. Et puis… Après avoir tourné, quand même, la partie inspirée des deux récits, Krystyna m’a apporté une quinzaine de feuilles et m’a demandé de les lire… C’était la description d’un moment très douloureux pour nous, la maladie puis la mort de son mari, un grand chef opérateur qui avait travaillé avec moi, en particulier sur L’Homme de marbre et L’Homme de fer… J’ai compris qu’elle avait écrit ce texte pour moi…

Ce texte retient l’attention pour deux raisons : d’abord il est très bien écrit, ensuite, il est dit dans un lieu, dans un cadre tout à fait singuliers…

Oui, ce texte, c’est vraiment de la littérature pour moi. Vous savez, Krystyna Janda a écrit pour plusieurs revues en Pologne. Elle a aussi un blog, très connu, même si elle l’alimente moins aujourd’hui, car elle gère par ailleurs deux théâtres. Elle écrit vite et bien. Je pense que ce texte, elle me l’a donné, car c’était un moyen de fixer la mémoire de son mari. Ça m’a plu, c’est une belle chose. Mais j’avais une grande crainte de ce long monologue, car le cinéma, c’est quand même l’art de l’image… Cependant, l’idée de la chambre s’est imposée à moi tout de suite. La chambre d’hôtel, puisqu’une actrice en train de tourner se rend à l’hôtel, une fois sa journée terminée. Et c’est là qu’elle pense à sa propre vie…

En dehors de la logique narrative, il y a aussi la référence picturale : pour cette chambre, vous vous êtes inspiré d’un tableau très précis d’Edward Hopper…

Oui, là encore, je n’ai pas eu à réfléchir un instant… Vous savez, j’ai ouvert une école de cinéma en Pologne, qui ne s’adresse pas uniquement à des élèves polonais d’ailleurs… Or, très souvent, je leur fais un cours sur la peinture de Hopper. Il me semble que chacun de ses tableaux pourrait être décrit par une nouvelle. Ainsi, ce tableau qui m’a inspiré pour mon film : une femme seule assise dans une chambre d’hôtel, elle est en déshabillé, elle a une petite valise à côté d’elle, elle attend quelqu’un sans doute, un homme, pourquoi est-il en retard ? Voilà… J’ai découvert Hopper dans les années 70, lorsque je suis allé pour la toute première fois de ma vie aux Etats-Unis. Je pense que dans aucun film on ne voit la solitude comme on la voit dans ses tableaux. On a l’impression que la peinture a pris une autre direction avec lui, il est arrivé à une sorte de réalisme photographique et, en même temps, il est romanesque. Il est très proche de mon cœur…

Vos films aussi ont cette part de romanesque. Est-ce cela qui vous a conduit, en partie, à choisir le format du cinémascope pour Tatarak ?

C’est Pawel Edelman, mon chef opérateur, qui me l’a conseillé. J’ai vu ce film pour la première fois au Festival de Berlin, et sur cet écran immense, avec le scope, cela m’a beaucoup impressionné ! Même si Tatarak est un film intimiste, je suis d’avis qu’il ne faut pas tout réduire ! En fait, il faut faire des films pour le cinéma ! D’accord, probablement que cette forme de cinéma va disparaître… Mais je ne serai plus là pour le voir !

– Rétrospective Andrzej Wajda, jusqu’au 21 mars, à la Cinémathèque française, à Paris.
www.cinematheque.fr

Titre original : Tatarak

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Durée : 95 mn


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