Alias Maria

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Consacré aux enfants soldats du conflit armé colombien, le film trouve sa force dans le portrait téméraire qu´il fait de sa jeune héroïne, Maria.

Présenté au dernier festival de Cannes dans la sélection « Un Certain regard », Alias Maria s’intéresse au conflit armé en Colombie du point de vue des enfants soldats enrôlés dans la guérilla, et plus particulièrement depuis le regard de Maria (Karen Torres), jeune fille d’une douzaine d’années qui donne son prénom au film. De manière très directe, la caméra se met à sa hauteur et accompagne avec un objectif brut et franc les mouvements de celle-ci dans la jungle colombienne. Elle est le point de raccordement et l’œil du film, entourée de deux autres enfants engagés auprès des milices, Yuldor et Byron. Tous trois, accompagnés d’un chef adulte, Mauricio, sont chargés d’une mission : mettre en lieu sûr le nouveau-né du commandant du camp.
 
Cette délicate et périlleuse mission permet au cinéaste de montrer en arrière-plan les rouages du conflit armé colombien. Les jeunes acteurs sélectionnés pour le film sont des enfants repérés dans des zones de violence très forte, liées au conflit (précisément dans l’Est du pays) et qui en sont donc, de manière plus ou moins directe, imprégnés. Cette démarche s’inscrit dans le souci du cinéaste, José Luis Rugeles, de coller au plus près de la sensation d’authenticité dans la mise en scène du conflit. A travers la quête d’un endroit sécurisé pour le bébé du commandant, la jungle colombienne devient le lieu de repli comme de toutes les violences et les villages sinistrés rencontrés en chemin donnent à voir les massacres partagés entre les guérilleros et les paramilitaires, qui continuent toujours à l’heure actuelle de toucher énormément les civils…En définitive, ces zones (dés)habitées n’apparaissent que comme d’insignifiants points à décimer tôt ou tard, et l’inamical environnement naturel un élément dangereux supplémentaire. La frontalité avec laquelle José Luis Rugeles filme, sans répit ni esthétisation, cette Colombie laissée dans des bains de sang, rend compte de façon empirique de ce conflit à travers la caméra. Mais cette option choisie possède le défaut de sa qualité : une telle plongée haletante aux côtés de Maria (à même le sol, en témoigne ces plans serrés d’insectes de la jungle) laisse peu de recul au spectateur face à la violence de ce qui se joue. On ne peut que constater la barbarie dont se rendent coupables toutes les parties, en même temps qu’elle est une toile de fond finalement peu investie clairement d’un point de vue politique par le cinéaste (1). Il y a là comme une impasse à la fois cinématographique et politique, qui bloque le regard, le condamne à seulement attester de plein fouet.

Le film montre davantage sa valeur dans le portrait féminin qu’il propose, celui de Maria. C’est sur une naissance que l’œuvre s’ouvre, celle de l’enfant du commandant, une naissance qui porte avec elle la difficulté d’avoir des nourrissons dans de tels contextes. A ce titre, le film nous montre rapidement la politique en vigueur avec la succession d’avortements forcés pour les femmes de la guérilla enceintes (souvent victimes de violences sexuelles). Maria découvre rapidement qu’elle est enceinte et en cela la mission dont elle est chargée résonne en elle. C’est lorsqu’il bascule du témoignage terrible des conséquences du conflit armé à la lutte de Maria pour échapper à la domination générale, et masculine en particulier (à Mauricio, probablement le père, qui la force à avorter, la menace), qu’Alias Maria se déplace vers une fiction qui n’est plus implacable : l’alias se supprime au profit de Maria. Sa fuite, vécue comme une désertion, proclame son insoumission.

Du film éclot alors une force d’émancipation. A l’instar de l’association qu’a cofondée le cinéaste, « Más Niños Menos Alias » (Plus d’enfants, moins d’Alias), qui a pour objectif d’aider les jeunes susceptibles de s’engager dans toute forme de violence et notamment dans la guérilla (ou d’y avoir déjà participée), essayant de les amener à réfléchir sur leurs comportements à partir d’outils pédagogiques scéniques et audiovisuels. « Nous les incitons à s’inventer un personnage ou une image et ainsi à revisiter leur propre histoire » explique José Luis Rugeles. Une suite d’entretiens réalisés avec des femmes ayant été enfants dans la guérilla a d’ailleurs servi de genèse au film. C’est l’intérêt principal de cette fiction d’avoir su doter Maria d’une personnalité à part entière et volontaire à la rébellion.

(1) Au sujet du conflit armé colombien, voir le documentaire Impunity, d’Hollman Horris et Juan José Lozano (2011), également une source pour le réalisateur d’Alias Maria

Titre original : Alias Maria

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Durée : 92 mn


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