Alex de la Iglesia entretient de nombreux points communs avec Guillermo del Toro : même lunettes omniprésentes, même barbe généreuse, même physique rondouillard et assumé et surtout, un même attrait irraisonné pour le cinéma de genre, qu’il soit en langue espagnole ou anglaise. Le 4 mars dernier, le cinéaste ibérique était à Paris pour la promotion de Crimes à Oxford, un thriller à énigmes justement tourné en anglais, le premier sans doute de ses long-métrages à aligner un casting de tête connues, John Hurt et Elijah Wood en tête.
Si le jeune Frodon n’était pas là pour la master class organisée à la Fnac des Ternes, John Hurt, et le co-scénariste du réalisateur, Jorge Guerricaechevarria, étaient eux présents pour ce qui s’est avéré être une joyeuse rencontre avec le public, bien qu’un peu faussée par le fait que le film ne soit pas encore sorti. « On n’est pas Ken Loach, n’hésitez pas à vous lâcher sur vos questions ! », lançait le metteur en scène quelques minutes après le début de la séance. « Crimes à Oxford est un jeu, où l’on doit trouver le nom du tueur à la fin », avoue-t-il. « Je ne l’ai pas fait comme un hommage à Hitchcock. Je n’aime pas les hommages, et de toute façon, tout le monde connaît ses films. J’ai préféré prendre une de ses actrices, dans Frenzy, pour établir plutôt une sorte de dialogue ».
« Le vrai héros, dans Tintin, c’est le capitaine Haddock »
Si l’austérité du film, qui se déroule dans les décors feutrés de la célèbre université anglaise, peut dérouter les connaisseurs du cinéma de De la Iglesia, celui-ci assure ne pas avoir changé son fusil d’épaule. « J’ai sans doute un peu vieilli. J’ai tourné plus jeune des films avec des histoires un peu folles, comme Action mutante et Le jour de la bête, mais je ne le referais plus de cette manière aujourd’hui ». Pourtant, il assure continuer à aimer « les personnages asociaux, ceux qui souffrent. C’est impossible de raconter une histoire avec un type gentil, normal, ce n’est pas intéressant. Regardez Spielberg, comment va-t-il faire pour tourner Tintin ? Tintin, il ne fait jamais rien, il ne s’approche pas des femmes, il n’est pas intéressant. Le vrai héros, c’est le capitaine Haddock, parce qu’il jure, il boit, il souffre. Comme dans la réalité ». Avant d’ajouter : « Nous avons tous envie un jour de tuer quelqu’un. Moi, par exemple, j’ai eu envie un jour de tuer ma femme. Nous sommes tous des monstres. Nous passons notre temps à essayer de masquer cette vérité ».
Aussi exubérant que ses films, Alex de la Iglesia se révèle pourtant être un cinéaste très méthodique, qui se refuse à l’improvisation. « Je n’aime pas ça, ça n’est pas constructif. Sur Un crime farpait, j’avais ce problème parce que mon actrice principale était complètement dingue, et elle n’arrêtait pas de vouloir rajouter des choses qui n’étaient pas utiles ». Sur ce point, son acteur John Hurt (impressionnant dans le film) abondera dans son sens : « Même si je pourrais improviser toute la journée, je pense que cela est rarement utile, dès lors que vous avez un bon scénariste à la base ».
« J’aime avoir entre les mains des jouets de plus en plus sophistiqués »
Enfin, à ceux qui lui prédisent, comme Guillermo del Toro, un avenir à Hollywood, Alex de la Iglesia répond tout net : « Crimes à Oxford n’est pas un pont vers les USA. Je tourne chaque nouveau film pour m’améliorer, quelque soit le pays ou la langue. Je ne me sens espagnol que lorsque mes amis vont voir le film là-bas. Sinon, ça ne veut rien dire d’être un cinéaste espagnol. J’aime avoir entre les mains des jouets de plus en plus sophistiqués, et forcément, à un moment, il faut en passer par le cinéma anglo-saxon. Mais pour Crimes à Oxford, vu l’endroit où l’histoire se déroulait, il n’y avait tout simplement pas d’autre choix que de le faire ainsi ».
Pour l’heure, le bouillonnant cinéaste se consacre à un projet qui le rapproche plus de la francophonie, puisqu’il s’agit de l’adaptation d’une des plus brillantes aventures dessinées de Blake et Mortimer, « La marque jaune ». Pour ce qui s’annonce comme « un pur film d’action », Alex de la Iglesia tient à prévenir les fans de la BD : « J’ai dû changer la fin de l’histoire. Elle n’était pas assez cinématographique, pas assez excitante. Mais j’espère qu’elle sera à la hauteur, et que les fans pourront me le pardonner ! » Vu sa filmographie, il ne devrait pas être trop difficile de le faire, Guill…euh, pardon, Alex !