Alberto Giacometti, The Final Portrait

Article écrit par

Avec Giacometti, dans son atelier.

Le génie est ineffable. La sublimation – la création en art – ne peut pas être définie, mise en équation, délimitée par des critères rationnels, expliquée. Elle peut être encore moins montrée. Par conséquent, tout cinéaste voulant capter le génie d’un maître de la peinture ou d’un grand écrivain devra se contenter de montrer ce génie à l’œuvre tel qu’il le perçoit, dans son extériorité mais sans jamais en percer le mystère. Tout en connaissant cette gageure, des cinéastes se sont malgré tout attaqués à ce défi de raconter un grand artiste – et souvent avec bonheur. Citons, par exemple, le célébrissime Amadeus (Milos Forman, 1984), qui donne une idée (d’aucuns disent relativement fidèle à la vérité biographique) d’un Mozart tour à tour mordant la vie à pleine dents, mais aussi tourmenté, accablé par le chagrin, rivé des nuits entières à sa table de travail…Citons aussi le merveilleux Van Gogh de Maurice Pialat, en 1991, dans lequel chaque plan est un véritable tableau, une composition. La précision et la simplicité du cadre de Pialat suffisent, en définitive, à entrevoir la splendeur de l’œuvre du peintre hollandais sans toucher pour autant au mystère de sa création tourmentée, mais cela suffit à rendre Vincent Van Gogh éternel au cinéma.

 

 

L’Atelier

Avec Alberto Giacometti, The Final portrait, Stanley Tucci, auteur notamment de Blind Date (2007) quant à lui, s’attaque à l’un des artistes les plus importants du XXe siècle en la personne d’Alberto Giacometti. Conscient de l’impossibilité de faire un biopic exhaustif, le réalisateur américain a choisi de se focaliser sur une courte période, les dix dernières années de la vie du maître. Le film nous raconte la dernière rencontre entre Giacometti et James Lord, un ami journaliste américain – grand ami de Picasso aussi. Giacometti demande à ce dernier de poser pour ce qui était censé être son ultime portrait. Cet épisode véridique de la fin de la vie de l’artiste sert fort habilement à Tucci pour nous faire rentrer dans l’atelier (reconstitué en studio à Londres) de l’artiste, sis au 46 rue Hippolyte-Maindron dans le 14ème arrondissement de Paris. Nous sommes immergés pendant la quasi-totalité du film dans cette pièce où vécut et travailla le peintre et sculpteur durant quarante ans. Non seulement la reconstitution de la pièce originale où a éclot la majeure partie de l’œuvre est une réussite parce qu’elle semble avoir été très fidèle sur le plan architectural et décoratif à l’endroit tel qu’il existât à Paris, mais aussi parce que ce lieu unique que le réalisateur nous impose, tel une scène de théâtre, s’avère être le procédé idéal pour que nous puissions « faire connaissance » le mieux possible avec la personnalité de Giacometti. Bien loin d’être à l’étroit dans cette pièce (23m2 en réalité), nous lions une forme d’intimité avec le peintre et sculpteur, qui (Tucci s’est très sérieusement documenté) se dévoile au plus près, entouré de son frère Diego, de sa femme et de sa maîtresse. L’artiste, remarquablement interprété par un Geoffrey Rush qui semble par moments l’avoir ressuscité, est tour à tour exubérant, désordonné, fêtard, amateur de bistrots et de prostituées, drôle, prodigue, mais aussi travailleur inspiré, insatisfait, acharné face à son chevalet…

 

 

 

Saisir « l’éternité qui passe »
Au delà de cet excellent portrait, le réalisateur a semble t-il voulu approfondir son sujet en tentant d’approcher le mystère de la création. Nous pouvons faire un lien – superficiel – entre le génie et l’« a-normalité » de la personnalité de l’artiste, son côté fantasque et hyper-perfectionniste. Les grands créateurs sont souvent des individus qui sortent de la norme et la bohême pittoresque montrée dans The Final portrait est l’écrin idéal et avéré à la naissance de chef-d’œuvres. Pourtant, la création en elle-même est introuvable. L’on voit bien le peintre face à son modèle, mais il est perpétuellement insatisfait au point d’effacer à plusieurs reprises son travail. Un recommencement perpétuel pour atteindre un jour peut-être une forme définitive. Comme nous l’avons évoqué plus haut, ce film ne peut définir – pas plus que quiconque – le mystère de la création ; en revanche il esquisse des questions intéressantes autour de ce thème et particulièrement au sujet de Giacometti. Comme les surréalistes – dont il fit un temps parti – et les cubistes (Picasso, Braque), Giacometti appartenait à une génération qui a opéré une rupture fondamentale dans l’histoire de l’art. Il s’agissait pour eux de construire, non de copier un objet. L’artiste transforme son modèle selon son désir, sa psyché, sa déraison. Dans le film, Giacometti veut forger son modèle sur sa vision nécessairement changeante. L’on voit qu’il n’essaie pas de dessiner les traits de son modèle tels qu’ils existent mais tels que lui les voit. À chaque seconde, à chaque heure qui passent, la vision, la compréhension qu’il a de l’objet changent tant et si bien qu’on en est à se demander si un jour le portrait sera terminé. C’est une recherche inextinguible. Tout le travail de Giacometti consiste à saisir – bel oxymore ! -, « cette éternité qui passe » (Jean Genet). Stanley Tucci évoque l’hypersensibilité de l’artiste dans une scène où il est regarde intensément le feuillage d’un arbre troué de lumière et dit à sa femme qu’il aurait voulu être un arbre. Ébloui par la beauté du monde, il en donnera sur la toile sa vision.

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 104 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi