Abel

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Diego Luna fait le choix intéressant et ambitieux de prendre l´enfance pour sujet de sa première réalisation.

Né d’une amusante réflexion du réalisateur sur l’intrigue d’Hamlet – à savoir, Hamlet n’aurait t’-il pas tué son père pour garder sa maman avant de dénoncer son oncle ?! –, Abel est le premier film de l’acteur mexicain Diego Luna. Discret second rôle derrière Gael Garcia Bernal dans Y tu mama también (Alfonso Cuarón, 2001), qui l’a pourtant fait connaitre du public international, il s’avère bien plus remarquable comme jeune réalisateur.

Le postulat du film, plutôt original : un garçonnet de 9 ans, mentalement perturbé depuis que son père a quitté le foyer familial, décide soudainement de prendre sa place. Il ne s’agit pas ici d’un amusement, mais d’un transfert, du résultat d’un trauma. L’enfant se mue alors un « mini-homme », arbore une cravate, dors dans le lit de sa mère, bricole et corrige les devoirs de ses « enfants » (frère et sœur). Dans les intérieurs d’un foyer aux couleurs chaudes et irréelles, le jeune garçon invente avec l’approbation inquiète de ses proches une vie de famille ordonnée, patriarcale et harmonieuse, où chacun est à une place qui lui semble convenable.

Diego Luna et son co-scénariste Augusto Mendoza ont la sagesse d’injecter une bonne dose d’humour à cette trame parfois gênante, et finalement plutôt sombre. Constamment sur le fil entre crispation et humour, les scènes, qui sur le papier seraient improbables, voire grotesques, sont au contraire tenues et construites sur une rigoureuse alliance entre comique de situation et drame, où affleure le ridicule cruel d’une telle mascarade.
L’action se déroule à Aguascalientes, au Mexique, sorte de pré-désert aride et désolé, où l’émigration économique des hommes vers les Etats-Unis laisse des familles entières sans figure paternelle. En toile de fond, une réalité économique pas simple donc, gangrenant cet équilibre fictionnel qui enferme peu à peu la famille dans sa chimère. L’affiche du film, d’où se détache la silhouette démesurément agrandie d’Abel, traduit cet univers fantasmatique abouti (le ciel parfaitement bleu en fond, comme un dessin d’enfant), cette réalisation totale du fantasme enfantin, que le réalisateur confronte violemment à ses limites.

L’enfermement visuel dans la maison familiale favorise l’étude presque anxiogène de cette mascarade aussi grotesque qu’émouvante, puisqu’en acceptant de jouer le « jeu », la mère d’Abel le préserve de crises de violence et d’une rechute dans un mutisme dont il vient de sortir. Par des scènes courtes mais percutantes, où le comique laisse place dans un même plan à la gravité, Diego Luna se révèle habile à créer du suspense, confirmant son talent de metteur en scène lors d’une échappée finale captivante, où le suspense atteint son paroxysme dans le dévoilement tragique de la fragilité des corps enfantins dans le monde violent des adultes.

Quant au retour du véritable père, homme lâche et irresponsable, il précipite le dernier quart du film dans le drame, mais produit également les meilleures scènes de comédies, notamment lorsqu’Abel, bienveillant, s’empresse de vouloir aider ce nouvel arrivant en lui trouvant du travail, et en le questionnant sur sa famille. La dissimulation commune et le mensonge, pour le bien de l’enfant, favorisent une situation qui s’avère finalement irrattrapable, dramatique. Néanmoins, ce conte cruel, belle peinture de l’amour filial et des perversions toute psychanalytiques qu’habillent l’enfance, démarque Abel du tout venant des premiers films.

Titre original : Abel

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Durée : 83 mn


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