Le nouveau film de Jia Zhangke, A Touch of Sin, fait suite aux très beaux 24 City (2009) et I Wish I Knew (2011), deux films à forte teneur documentaire. Pour celui-ci, sélectionné en Compétition officielle au dernier festival de Cannes d’où il est reparti auréolé du prix du scénario, le cinéaste revient à la fiction, même si son long métrage est à nouveau en prise avec le réel – l’une de ses plus grandes forces. Quatre histoires ici, quatre chroniques de la Chine d’en bas, celle des travailleurs pauvres d’aujourd’hui. Quatre histoires qui n’ont rien à voir ou presque, si ce n’est qu’elles témoignent toutes de la société chinoise actuelle. Un mineur écœuré par la corruption tue ses patrons ; un homme dont le seul plaisir dans la vie est de tirer au pistolet s’échappe ; une femme lâchée par son amant qui n’a pas voulu quitter sa femme se retrouve hôtesse d’un sauna un peu louche ; un jeune homme forcé de fuir l’usine dans laquelle il travaille suite à un accident tient l’accueil dans un bordel pour riches hong-kongais. Les portraits sont loin d’être drôles, seraient même carrément désespérés. Mais Jia Zhangke y donne le pouls de ce qu’entraîne, en Chine, le fait de naître mal. Injustice, trahisons et amours contrariés mènent tous, ici, à la violence, une violence soudaine et déchaînée de laquelle il faudra, plus tard, s’exempter.
D’un constat social difficile, le réalisateur tire un film d’une grande ampleur et d’une grande dramaturgie, qui, s’il ausculte différents aspects sociétaux d’importance, n’en oublie pas d’être une œuvre de cinéma. À ce titre, la première « partie » du film est la plus maîtrisée, offrant un cinéma plus rythmé qu’à l’accoutumée mêlant thriller social et western moderne. Le reste est à l’avenant, enchaînement de sublimes plans larges et points de focus sur des détails qu’il sait parfaitement donner à voir. Là où I Wish I Knew décrivait Shanghai et ses évolutions constantes depuis la révolution culturelle, A Touch of Sin scrute l’horizon des campagnes chinoises, dans un pays qui s’étend sur tant de kilomètres et de provinces qu’un déménagement de l’une à l’autre fait figure d’exil. Les métropoles sont, ici, tenues à distance, dans des plans très larges qui montrent la modernité seulement au loin, rêve inaccessible qui, quand on y accède, déçoit forcément fatalement. Ce n’est pas la moindre des lignes de force d’un film fort, ample, plombant par instants mais qui confirme que Jia Zhangke est l’un des plus grands observateurs de la Chine d’aujourd’hui.