65e Festival de cinéma de San Sebastian

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Retour sur le Festival de cinéma de San Sebastian, qui s’est déroulé du 22 au 30 septembre 2017.

Le long d’une baie splendide, la ville de San Sebastian en plein cœur du Pays basque espagnol sert d’écrin pour un magnifique festival très réputé, « Donostia Zinemaldia ». Entre ambiance cannoise pour la multitude des films présentés et le défilé des festivaliers souvent pressés et ambiance assez bon enfant des villes de province du bord de mer, Donostia Zinemaldia propose pas moins d’une centaine de films à travers six sections, plus cette année une rétrospective Joseph Losey avec 37 films. Avouez qu’il y a de quoi picorer, ne serait-ce que dans la section officielle avec 20 films dans et hors compétition, mais aussi dans celle des Nouveaux réalisateurs, ou encore celle des Horizons latins. Mais c’est la section Perlas qui porte bien son nom puisqu’elle n’offre pas moins de 17 perles, certaines déjà vues à Cannes ou ailleurs, mais d’autres encore très agréables à découvrir. Sans oublier, bien sûr, la section Zabaltegi-Tabakalera qui décerne son prix et voit apparaître dans sa section des films comme The Square de Ruben Östlund (Palme d’Or à Cannes) ou encore Braguino de Clément Cogitore qui obtiendra le prix.

De tout ce magma en ébullition, on aura beaucoup de mal à privilégier certains films mais, dans l’ensemble, voici une bonne cuvée et un palmarès intéressant, bien qu’assez consensuel. Alanis, film argentin d’Anahi Berneri, a été bien accueilli puisqu’il repartira avec deux consécrations, mais on retiendra aussi, pour d’autres raisons, El autor, film hispano-mexicain de Manuel Martin Cuenca, ou encore The Disaster artist (Grand Prix) de James Franco, ou Una especie de familia, film argentin de Diego Lerman. Mais aussi Licht (Mademoiselle Paradis) film autrichien de Barbara Albert, ou encore Ni juge, ni soumise, film belge très drôle et piquant de Jean Libon et Yves Hinant et Pororoca, film roumain de Constantin Popescu. Nombre d’entre eux sortiront bientôt en France et nous aurons l’occasion d’y revenir. Le Sens de la fête d’Olivier Nakache et Eric Toledano, déjà sorti en France, est très amusant, mais on se demande ce qu’il fait ici en compétition, ou encore Au revoir là-haut d’Albert Dupontel, cependant hors competition. On glane de ci de là, des bijoux comme The Charmer, film danois de Milad Alami, Le Prix du succès de Teddy Lussi-Modeste, ou encore Le Semeur, film français aussi de Marine Francen qui a reçu un prix bien mérité. Dans la section Horizons latins, j’ai découvert La Education del Rey, film argentin de Santiago Esteves qui sort en France le 22 novembre. Et dans la section Perlas, on pouvait aussi étancher sa soif cinéphilique avec des projections magnifiques dans des salles aux écrans parfaits : Mother! de Darren Aronofsky, La Villa de Robert Guediguian ou encore You Were Never Really Here, film américain de Lynne Ramsay avec un Joaquin Phoenix prodigieux.
 


La Educacion del Rey,
Santiago Esteves

Ce qu’on peut retenir d’un tel festival, c’est que depuis sa création, le cinéma s’est inspiré largement de l’écrit pour créer de la fiction à partir du moment où, filmer le réel, comme le firent les frères Lumière à leur début, ne lui a plus suffi. Ce fut tout d’abord du côté du théâtre qu’il chercha des idées de mise en scène, par exemple avec L’Assassinat du duc de Guise d’André Calmettes (1908) ou même certains petits films de Méliès qui rappellent la scène et ses décors. Puis, peu à peu, le cinéma s’est tourné vers la littérature pour trouver son inspiration. On dit que plus des deux tiers des films tournés sont des adaptations de romans, comme Les Misérables de Victor Hugo qui a été adapté plus de cent fois dans le monde entier. Le festival de San Sebastian, ne serait-ce que dans la sélection officielle, nous offre trois adaptations de romans : La Douleur de Marguerite Duras dans une mise en scène assez fidèle et sobre d’Emmanuel Finkel, Au revoir là-haut, adaptation baroque du livre éponyme de Pierre Lemaître qui a participé au scénario, dans une mise en scène d’Albert Dupontel et The Wife de Björn Runge adapté d’un roman de Meg Wolitzer. Est-ce une coïncidence si, sur les trios films, se trouvent deux films français à partir de deux textes français ?

Par ailleurs, le film mexicano-espagnol de Manuel Martin Cuenca, El autor, va encore plus loin puisqu’il tente de comprendre le mécanisme de la littérature à travers un film qui nous montre un homme cherchant désespérément à dépasser le succès littéraire de sa femme, et qui n’y parvient pas tout en usant de subterfuges, d’ateliers d’écriture et surtout de manipulations pas toujours très reluisantes. Ces quelques exemples glanés dans cette intéressante cuvée du festival pourraient être encore quelque peu approfondis, mais ça risquerait de devenir un peu fastidieux pour un lecteur qui n’aurait pas vu tous ces films. On l’aura compris, le cinéma aime la littérature, soit parce qu’il s’en sert, soit parce qu’il tente de la dépasser comme le héros de El autor.

Adaptation littéraire certes, mais aussi mise en abyme sont les deux éléments qui hantent le cinéma contemporain. Cette mise en abîme a été en grande partie initiée dans les années 60 par Federico Fellini avec son célèbre Huit et demi qui nous offre un film impossible en train de se faire sous nos yeux comme une vraie psychanalyse. Il a été suivi ensuite par François Truffaut qui l’a reconnu lui-même pour La Nuit américaine (1973), et aussi par Woody Allen pour Stardust Memories (1980), entre autres. Dans le cadre de la sélection officielle du festival de San Sebastian, il nous a été proposé ainsi The Disaster artist de James Franco qui est aussi une mise en abyme sur le tournage d’un film, The Room, réalisé par Tommy Wiseau, un horrible nanar mais tellement involontairement drôle qu’il devint culte dans les années 90, qualifié de « Citizen Kane des mauvais films ». Avec légèreté et beaucoup d’humour, James Franco revient sur le tournage et va jusqu’à mettre en parallèle à la toute fin des extraits de son film avec ceux du film original.

Enfin, Le Lion est mort ce soir, étonnant film de Nobuhiro Suwa, est un hommage au cinéma de François Truffaut dans lequel son acteur fétiche joue son propre rôle. En effet, Jean-Pierre Léaud y apparaît comme obsédé par sa propre mort qu’il doit interpréter au cinéma. Le réalisateur nous propose une autre manière de mise en abyme en organisant une rencontre avec l’acteur de la Nouvelle Vague et une bande de gamins qui s’amusent à faire du cinéma. Ils ne connaissent pas Jean-Pierre Léaud mais l’engagent dans leur film. Prouvant alors que le cinéma vient du Verbe comme la Création selon saint Jean, le grand acteur leur demande de commencer par écrire un scénario. La boucle est bouclée, le cinéma revient toujours à l’écriture. C’est ce que montre d’ailleurs, en clôture du festival et hors competition, The Wife, film suédois de Björn Runge, avec Glenn Close, Jonathan Price et Max Irons, qui met en scène un auteur américain à succès qui, au moment d’aller en Suède recevoir le Prix Nobel de littérature, va dévoiler sa vraie nature, mettant ainsi en relief le rôle réel de son épouse, restée jusqu’alors dans l’ombre. Quant à la Fipresci, elle accorda son seul et unique prix habituel à un film espagnol de Antonio Mendez Esparza, Life and Nothing Else, un film au scénario très bien écrit et parfaitement interprété.
 


Le Lion est morct ce soir, Nobuhiro Suwa

D’autres films étaient à découvrir comme Sollers Point, film de Matt Porterfield ou encore Morir de l’espagnol Fernando Franco ainsi que Soldiers, story from Ferentari de Ivana Miladenovic et Handia, film basque d’Aitor Arregi et Jon Garano sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir à leur sortie, tant ils sont particulièrement intéressants aussi. En effet, belle cuvée 2017…

PALMARES 2017 :
 

CONCHA DE ORO : THE DISASTER ARTIST de James Franco

PRIX SPÉCIAL DU JURY : HANDIA de Aitor Arregi & Jon Garaño

PRIX DU MEILLEUR RÉALISATEUR : Anahi Berneri pour ALANIS

PRIX DE LA MEILLEURE ACTRICE
: Sofia Gala Castiglione pour ALANIS

PRIX DU MEILLEUR ACTEUR : Bogdan Dumitrach pour POROROCA

PRIX DE LA MEILLEURE PHOTOGRAPHIE : Florian Ballhaus pour THE CAPTAIN

PRIX DU MEILLEUR SCÉNARIO : Diego Lerman & Maria Meira pour UNA ESPECIE DE FAMILIA

PRIX NOUVEAUX RÉALISATEURS : LE SEMEUR de Marine Francen Mention spéciale à MATAR A JESUS de Laura Mora

PRIX HORIZONTES LATINOS : LOS PERROS de Marcela Said

PRIX ZABALTEGI : BRAGUINO de Clément Cogitore mention spéciale (ex-æquo) à Darya Zhovner dans TESNOTA

PRIX DU PUBLIC : THREE BILLBOARDS OUTSIDE EBBING, MISSOURI de Martin McDonagh

PRIX DU FILM EUROPEEN : JUSQU’À LA GARDE de Xavier Legrand

PRIX DE LA JEUNESSE : MATAR A JESUS de Laura Mora

PRIX FIPRESCI : LIFE AND NOTHING MORE d’Antonio Mendez Esparza


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