6/9 – Il était une fois Clermont…

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Clermont-Ferrand est une ville de montagne. En hiver, les températures extérieures sont proches de 0o C, tandis que les températures intérieures nous transportent au coeur des tropiques. Le résultat commence à se faire sentir dans les salles obscures, où des toussotements secs ou un peu plus gras se joignent allégrement aux bandes sons des courts métrages.

Le Court du jour de Lydia



Décibels ! nous offre l’opportunité de découvrir ou redécouvrir le travail de Fredo Viola, réalisateur, compositeur et interprète. Ici, la bande son dirige l’image et non l’inverse. Celle ci est décomposée en plusieurs strates, afin de représenter au mieux les variations sonores composées par le réalisateur. Il utilise trois formes types : des fragments d’images de la nature ou de la ville ; Fredo Viola devant la caméra en pleine performance ; Fredo Viola et ses amis musiciens, se filmant chacun dans leur studio, en train de jouer le même air de musique. Le montage est roi dans ces films car c’est à travers lui que le réalisateur recompose l’image pour qu’elle s’adapte à la perfection au son retransmit.
Parmi tous, nous allons parler de Puss (2007), où le réalisateur propose cinq plans rassemblés sur lui-même pour former une sorte de véritable groupe de musiciens. Le décor joue également un rôle très important, car il rentre lui aussi dans l’illustration de la musique. Dans Puss, il a choisit de se filmer dans une chambre aux murs bordeaux foncés, et au plafond blanc. Un lustre surmplombe le tout au centre-haut du cadre. A cause de la fragmentation de l’image, le mur semble doté d’une vie intérieure, ce qui donne un côté magique et surtout atemporel au film-clip. Tout en nous transportant dans la mélodie interprétée, ce film nous surprend par son côté ludique et humoristique.

Le Court du jour d’Amiel

 

Hanasaari A (2009), un film finlandais de Hannes Vartiainen et Pekka Veikkolainen

Il règne dans ce film une énergie à la fois archaïque et divine, résolument moderne.

D’un côté, il y a la terre ou plutôt devrait t-on dire cette terre d’Helsinki, tantôt décharnée tantôt immergée où les éléments naturels semblent s’être réunis, comme convoqués par des forces telluriques enfouies. Grâce à la technique du stop motion, la péninsule et son environnement se retrouvent liés pour sonner l’ultime chant du cygne face à l’urbanisation galopante.

De l’autre, la destruction de ce dernier bastion de l’époque industrielle aux allures gothiques qui marque la fin d’une ère. Tel le vestige d’une civilisation toute entière, les animateurs ont mis un point d’honneur à en rétablir pour une dernière fois la noblesse avant que les machines de démolition, monstres terrifiants dévorant la structure de leurs mâchoires d’acier, ne s’en emparent pour l’éternité.

Reste ainsi le cœur du constat au sens propre comme au figuré : détruire pour reconstruire, telle est la vocation de toute société. Comme nous l’avons vu ces derniers jours, cet adage résume aussi en partie le travail des graphistes. Le film tient en ces mots à une volonté telle que le cinéma de nos deux réalisateurs finlandais en immortalisera à jamais le souvenir d’un écrin de sublimation.


Interview du jour

 


Entretien avec Roland Nguyen, programmateur et acheteur chez France Télévisions

 

Quelle est l’évolution que la diffusion du court métrage a pu connaître ces trente dernières années ?

J’ai toujours travaillé dans le service public. Depuis 1991, je m’occupe du court métrage chez France 3, et maintenant chez France Télévisions. C’est vrai que j’ai de plus en plus de casquettes : je suis diffuseur, programmateur, jury, commissionnaire… Donc il y en a beaucoup qui me reprochent d’être juge et partie, mais bon, il faut bien donner un peu de sa compétence et de son savoir faire pour donner son avis sur la qualité artistique des projets, etc.

Maintenant chez France Télévisions, on a regroupé des émissions du court métrage dans le « Pool du court métrage ». Notre objectif est d’ailleurs d’être le cadeau grec, c’est-à dire le cheval de Troie, pour qu’il y ait des courts métrages sur France 4, et France 5 aussi. Nous nous occupons de chercher, acheter et proposer des programmations thématiques spécifiques à France 4 et 5, selon leur public.

France 4 par exemple est plutôt entre les 15-35 ans : des jeunes qui passent leur temps devant l’ordinateur, entre les cadres supérieurs et les jeunes qui jouent aux jeux vidéos, tous nourris par les séries américaines ou même les séries françaises maintenant. Parfois, ils jettent un coup d’œil sur la télévision directement à travers internet : ils ne sont plus les publics traditionnels.

Dans le court métrage, il faut toujours essayer d’innover et d’avoir un temps d’avance. A ce niveau là, je rends un hommage au festival de Clermont-Ferrand : je me souviens très bien du temps où nous, acheteurs, allions dans les salles et perdions beaucoup de temps parce que, en tant que programmateurs, nous connaissions environ 50% des programmes projetés. Cela bloquait un emploi du temps très strict, finalement. Après, ils ont installé le Marché du Court, et on visionnait sur des VHS, mais peut être vous n’avez pas connu ça, les VHS…

Si quand même…

Bon, donc quand on cherchait des VHS, il y en avait 2 ou 3 par film. Il fallait donc attendre qu’untel ait fini de la visionner et la rembobiner ensuite… Après sont arrivés les dvds, mais il y en avait aussi 5-6 disponibles par films uniquement. Il fallait donc toujours attendre. Mais maintenant, ce qui est formidable, c’est qu’il existe un serveur comportant tous les films. Il suffit de taper le titre, la thématique, et c’est bon. Tous les autres festivals, Cannes compris, ont copié le système ensuite. Et Clermont continue à innover à ce niveau là.

De mon côté je me suis dit : pourquoi pas créer la « Journée du Court métrage » sur toutes les chaînes de France Télévisions (comme c’est le cas pour la journée contre le sida, etc.) ? Mais le problème, c’est que c’est dur de faire bouger les mentalités, parce que cela implique une coloration court métrage sur toutes les chaînes du service public, et malheureusement c’est irréaliste pour le moment.

C’est pour cela qu’on a eu alors l’idée de créer le prix France Télévisions du court métrage. Font partie du jury des responsables des filiales cinéma et télévisions ainsi que des journalistes, pour réussir à les impliquer dans le court (on retrouve là le principe du cheval de Troie…), pour les habituer enfin à regarder du court. Et cela a déjà servi à quelque chose car, par exemple, le prix de meilleure interprétation féminine a été décerné à Chloé Vertier pour La raison de l’autre, qui avait déjà eu le prix pour l’édition précédente du festival de Clermont. Or pendant un an, elle n’a rien trouvé, tandis que déjà, avec notre prix, des réalisateurs sont rentrés en contact avec elle pour la faire jouer dans leur long métrage. Au moins, nous avons servi à cela…

Nous avons également un blog, « lignedecourt », sur lequel on lance des opérations intéractives avec la Nuit du Court métrage, une fois par an. Et j’avoue très sincèrement : heureusement que les internautes sont là pour voter, car moi je n’aurais jamais sélectionné ces films…Ceci dit, il paraît qu’en enlevant les cookies on peut voter plusieurs fois, mais bon, nous on essaye de faire au mieux. Dans tous les cas, des 3000 votes qu’on attendait à travers la page web du journal l’Express, nous en avons eu finalement 12 500. Ce qui veut dire que Monsieur ou Madame qui regardent la télévision ne se sont donc pas connectés sur la page web de l’Express pour savoir ce que devient Brad Pitt et Angelina Jolie, mais pour découvrir et visionner des courts métrages…

Oui, j’ai d’ailleurs l’impression que les spectateurs sont totallement prêts pour voir des court métrages…

Mais oui !

…et que ce sont surtout les dirigeants des chaînes de télévision qui bloquent l’accès, quelque part…

Un petit peu…je pense qu’il y a un a priori sur les courts métrages…

Est-ce que vous pensez que les courts métrages ont évolué ces trente dernières années, du point de vue du fond ou de la forme ?

Ce qui m’a le plus marqué c’est que quand j’ai commencé à m’occuper du court en 1991, la qualité était très très basse. Le préjugé était justifié, car à l’époque il y avait ce que j’appelle les « exercices de style »… Par exemple, on va enregistrer notre conversation, d’accord ? On va brouiller le son de temps en temps, on va filmer Clermont « by night », on va coller un poème de Prévert et on va étalonner différemment, puis on va mettre une musique, je ne sais pas…, les Sex Pistols par exemple, puis vous mélangez avec Carmina Burana…Et vous faites de ça un court métrage. Bon, moi j’appelle ça du FDG, du Foutage De Gueule… et cela a beaucoup nuit au court, car les gens se disait « Mais qu’est-ce que c’est ça ?… »

Mais dans ce cas, de nos jours la qualité a augmenté ?

Oui oui…Mais bon, avec l’arrivée de la vidéo se mettent en place des raccourcis artistiques où des reflexions qu’il faut se faire (Qu’est ce qu’on montre et Qu’est ce qu’on ne montre pas, exactement) sont délaissées. C’est une tendace moderne que je rencontre beaucoup.

Ce qui fait des films plus longs, alors ?

Bien sûr, mais pourquoi des films plus long ? A cause de l’économie du métrage : la tante qui vous a prêté la voiture, il faut filmer la voiture ; le restaurant qui vous a accueilli, il faut filmer en long et en large ; le vieil homme qui vous a filé un peu de fric, il faut quand même lui filer un petit rôle… Et ça, ça n’existe pas dans le cinéma international, où c’est professionnel jusqu’au bout, autant en pellicule qu’en vidéo.

A cela, on ajoute une tendance en France de « l’écriture par l’image », un terme pompeux qui est bien français, des films où il y a des pléonasmes, où l’on dit ce qui est déjà visible à l’image. Du coup, ici au Festival, c’est mon plaisir de visionner la programmation Internationale, où l’on trouve des idées cinématographiques formidables.

Et la section Labo vous intéresse aussi?

J’en garde un mauvais souvenir de ces débuts…

Nous on adore la section Labo… C’est vrai qu’il y a des films qui sont lourds, mais on trouve toujours quelques perles rares…

Oui, mais il faut y aller… il faut se taper le tout ! Et l’on trouve, au détriment de la qualité, beaucoup de brouillons à cause du numérique…

Mais ce qui est bien, c’est qu’internet donne la possibilité aux gens de trouver ces perles rares, en adéquation avec ce qu’ils aiment, et c’est ça aussi l’évolution des images.

Quelle différence pensez-vous qu’il existe par rapport au long métrage ?

Quelqu’un qui n’a que 7 ou 13 minutes pour raconter une histoire, est obligé de faire appel à toutes les techniques cinématographiques possibles (chevauchement, ellipse, etc) pour raconter une histoire. Voilà une différence, surtout par rapport à certains courts métrages trop longs, dans les 40’ et au delà, où l’on filme presque en temps réel ! Mais bien sûr il y a des exceptions…

Ce qui est vrai c’est que dans le court métrage, on retrouve des films de tous genres : fictions, documentaires, faux documentaires, animations…Clermont Ferrand conserve cette diversité, car le court métrage est un vrai laboratoire de création, en même temps qu’une école de compétences où l’on trouve ce pour quoi on est fait.

Lire ici l’épisode précédent.


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