5 septembre

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Le réalisateur suisse Tim Fehlbaum a entrepris de retracer la première expérience de reportage d’information en continu, réalisée le 5 septembre 1972 par la chaîne de télévision américaine ABC à l’occasion de la prise d’otage de onze athlètes israéliens dans le village olympique de Munich par un commando palestinien affilié à l’organisation Septembre noir. Malheureusement le résultat n’est pas à la hauteur de cette tragédie.

Cinq septembre, du réalisateur suisse Tim Fehlbaum, n’est pas du genre à marquer les esprits et l’histoire du cinéma, sur un sujet pourtant tragique : la prise d’otage d’athlètes israéliens par un commando de militants palestiniens se réclamant du mouvement « Septembre noir » le 5 septembre 1972.

Rappelons les faits brièvement : dans la nuit du 4 au 5 septembre 1972, ce commando palestinien s’introduisit dans le village olympique de Munich. Les JO battaient alors leur plein depuis neuf jours, avec comme star du jour le nageur américain (d’origine juive) Mark Spitz (sept médailles d’or !), quand à 4 h 50, huit hommes armés s’emparèrent de deux chambres du pavillon abritant les sportifs israéliens ; plusieurs tentèrent de résister et deux d’entre furent alors abattus ; les preneurs d’otages ligotèrent les 9 autres. Les revendications du commando parvinrent ensuite aux autorités allemandes : la libération des 234 Palestiniens détenus en Israël pour « actes de terrorisme », la libération par l’Allemagne fédérale de plusieurs terroristes d’extrême-gauche, dont Andreas Baader et Ulrike Meinhof et, dans l’immédiat, la mise à disposition de trois avions prêts à décoller pour Le Caire. Sinon les athlètes israéliens seraient abattus l’un après l’autre à partir de midi.

Mais les autorités allemandes, totalement dépassées, gérèrent la situation de manière catastrophique, refusant par exemple le concours de l’unité d’élite 269 que le chef du Mossad (service de renseignements extérieur israélien) avait proposé de dépêcher. Finalement en fin de journée elles mirent à disposition du commando deux hélicoptères pour leur permettre de rejoindre l’aéroport militaire de Fürstenfeldbruck. Les deux appareils (avec les huit terroristes et leurs neuf otages) se posèrent près d’un boeing 727 censé permettre au commando de gagner Le Caire. Mais quarante minutes plus tard des tireurs d’élite allemands ouvrirent le feu. Peu après minuit, n’étant pas parvenues à réduire les terroristes, les autorités allemandes lançaient à l’assaut un détachement de fantassins et six blindés légers ; les Palestiniens abattirent leurs otages. Le bilan de l’intervention allemande fut désastreux : tous les otages décédés, un soldat allemand mort, deux personnels civils des hélicoptères grièvement blessés, et seuls trois des terroristes capturés vivants.

Que ce drame visant des israéliens se soit déroulé en Allemagne n’était évidemment pas anodin, comme le rappela alors la Première ministre israélienne, Golda Meir : « Vingt-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, on assassine encore des Juifs, pieds et poings liés, sur la terre allemande ! » C’était l’époque où en Allemagne commençait à se faire jour dans la jeune génération (représentée dans le film par une jeune traductrice : Marianne Gebhardt, interprétée par Leonie Benesch), une prise de conscience des atrocités commises à l’époque du IIIe Reich et un sentiment de culpabilité. La « bande à Baader » ou « groupe Baader-Meinhof » justement allait enlever puis exécuter en 1977 un responsable patronal : Hanns Martin Schleyer, ancien SS et responsable de la répression nazie en Tchécoslovaquie. Cette prise de conscience tardive ne concernait pas tout le monde : c’était l’époque où un ancien haut dirigeant du régime, libéré de sa prison en 1965 : Albert Speer (ex-ministre de l’armement !), se pavanait sur tous les plateaux de télévision – notamment anglo-saxon  – comme le soi-disant symbole du « bon nazi » embarqué malgré lui dans une aventure criminelle, donnant ainsi bonne conscience à l’immense majorité des Allemands qui avaient suivi jusqu’au bout leur bien aimé Führer.

Ceci n’est malheureusement pas le sujet du film de Tim Fehlbaum, qui se concentre sur l’attitude d’une équipe de la chaîne américaine ABC (celle s’occupant à priori uniquement du sport), qui se trouvait à proximité de l’immeuble où logeaient les athlètes pris en otages, et put donc « couvrir » l’évènement, en diffusant en continu des informations sur le déroulement des opérations (avec la fameuse photographie du preneur d’otage cagoulé examinant du haut du balcon occupé les alentours : le film reprend de nombreuses images d’archives d’ABC sur l’évènement). C’est un fait qu’une couverture médiatique de ce genre (sur près de vingt-deux heures) concernant une prise d’otages, fut une première dans l’histoire de la télévision, suivie par près de 900 millions de spectateurs dans le monde entier.

Mais les problèmes éthiques que cela put poser aux journalistes présents dans le cadre de cette « première » ne sont que superficiellement abordés par le réalisateur, qui a choisi plutôt un style « caméra sur l’épaule », certes nerveux mais peu propice à la réflexion. Ces problèmes (qui auraient pu et dû être plus approfondis) ont été parfaitement résumés par Jean-Luc Wachthausen (Le Point, 27/01/2025) :

« Peut-on ou doit-on tout montrer lorsqu’on est un journaliste de télévision confronté en direct à une tragédie où la vie d’otages est en jeu, où la mort plane à tout instant dans un macabre compte à rebours ? Comment ne pas tomber dans le sensationnalisme et ménager la sensibilité du spectateur ? Où se situe la frontière entre voyeurisme et information ? Comment éviter que les images diffusées servent d’écran de contrôle aux terroristes ? Comment se débrouiller face à l’inconnu, à l’horreur d’une réalité qui vous dépasse ? »

On peut y ajouter les risques de dérapages quand l’information n’est pas suffisamment vérifiée : ce qui arriva précisément à Munich où une rumeur, diffusée par la chaîne ABC, fit croire un temps que tous les otages sur l’aéroport de Fürstenfeldbruck avaient été libérés après une courte fusillade ! Les mêmes dérives se sont souvent reproduites depuis, par exemple lors de la soi-disant « révolution roumaine » de 1989 (celle qui chassa le dictateur Nicolae Ceaușescu).

Au lieu de quoi, Tim Fehlbaum, emporté par son propos, s’est davantage complu à représenter tout l’appareillage technique de l’époque, ayant reconstitué fidèlement un studio de télévision (tout le film se déroule à l’intérieur de ce studio, comme un étouffant huis-clos) avec un matériel et des méthodes qui font évidemment sourire aujourd’hui à l’époque d’internet et des réseaux sociaux : usage du téléphone, du talky walky, de lourdes caméras déplaçables sur roulettes, incrustations réalisées manuellement pour faire apparaître des commentaires à l’écran, etc. On a l’impression que l’étalage de cet équipement obsolète envahi littéralement le film, au détriment inévitablement de l’analyse de la situation. De temps en temps quelqu’un se pose une question sur la légitimité de la démarche (tout montrer en direct, au risque même – comme cela est effectivement arrivé – de donner aux preneurs d’otages, qui avaient eux aussi la télévision, de précieuses indications sur les intentions de la police allemande). Un journaliste confie lucidement (ce qui est la base de l’approche journalistique des évènements aujourd’hui, hélas !) : « Je ne parle pas de politique, je parle d’émotion. »

Ce qui est cependant saisissant, c’est quand le film montre qu’en parallèle à la prise d’otages, se déroulaient ailleurs sur le site olympique de Munich d’autres compétitions sportives (du volley féminin par exemple)…comme si de rien n’était. Et effectivement, dès le lendemain après une courte cérémonie d’hommage aux malheureuses victimes, le spectacle sportif reprenait : « The show must go on ! » Il en ira toujours ainsi, peut-on penser…

Notons cependant les bonnes performances de certains acteurs ou actrice : Leonie Benesch déjà citée, ou Peter Sarsgaard (Roone Arledge) en directeur de télévision à la recherche du scoop et supervisant un jeune collègue Geoffrey Mason (« Geoff », John Magaro). Pour coller au plus près des faits, Tim Fehlbaum a d’ailleurs collaboré avec le vrai Geoffrey Mason, 30 ans à l’époque, salué comme l’inventeur de ce que l’on appelle à présent le live streaming, la diffusion d’images en direct.

Mais cela ne suffit pas à faire un grand film…

Titre original : September 5

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Durée : 94 mn


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