4/9 – Il était une fois Clermont…

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Le Marché du film ouvre ses portes pour la semaine. L´endroit est idéal pour réaliser de nouvelles rencontres et retrouver des connaissances de longue date. Tandis qu´on sirote un gobelet de txacoli au comptoir basque, en grignotant une excellente datte israélienne (<< mais où est-ce que vous cultivez ces dattes exactement ?... >>), on découvre, stand après stand, le dernier cri en matière de court métrage à travers le monde.


Interview du jour

Antoine Lopez, membre du Comité de sélection nationale et labo du Festival de Clermont depuis trente ans et responsable des relations avec les collectivités locales.



S’il fallait dresser un paysage exhaustif de l’évolution du court métrage ces trente dernières années, je dirais qu’il faudrait évoquer trois points majeurs :

Sur un plan microéconomique, la structuration de la profession : au début, on avait beaucoup de réalisateurs qui faisaient leurs films de leur côté avec leurs fonds propres sans réseaux, sans soutien… Fin des années 70, le climat était plus à enterrer le court que de le faire emmerger. Pour autant, la production était déjà très présente même si elle était plus marginale et plus clairsemée. On pourrait parler de paradoxe français. Peu à peu sous l’impulsion d’associations comme l’association « Sauve qui peut le court métrage » de Clermont et de regroupement de producteurs, les réseaux et les échanges se sont multipliés. Sont apparus ainsi des vraies structures de production de courts métrages, avec de vrais réalisateurs.

Sur un plan politique et économique national, les guichets de financement à travers la régionalisation se sont multipliés : au départ, il n’éxistait que le CNC pour fournir des financements avec l’aide à la création (quarante films subventionnés par an). Depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion locale de réseaux de cinéastes et de manifestations cinématographiques, les régions et les collectivités locales se sont intéressées au potentiel que représentait le court métrage en terme de notoriété à la fois touristique et économique. Le conseil général du Puy-de-Dôme avec celui du Finistère ont été des pionniers en la matière dans l’aide au scénario, décalque exacte des commissions sélectives du CNC. Petit à petit, d’autres départements et régions, se sont mis à aider les producteurs et les réalisteurs pour les inciter à venir tourner chez eux. Cela a changé notablement le paysage du court métrage français ne serait-ce qu’en terme d’image. Là ou le court métrage se cantonnait au milieu parisien et à ses banlieues, il s’est ouvert à de nouveaux horizons, de nouvelles architectures, d’autres bâtiments, d’autres paysages qui viennent de toutes les régions de France. Par forcément gage de qualité mais plus de bonne santé, cela eut le mérite d’apporter de la diversité géographique qui n’existait pas avant sur les écrans.

Enfin, sur le plan de l’enseignement et de la multiplication des films, ce n’est pas tant le nombre d’écoles de cinéma qui s’est multiplié (contre-vérité en un sens) mais plutôt l’apparition des écoles d’animation, corollaire du développement numérique, qui a permis l’apparition puis la cohabitation au sein des compétitions nationales de nouvelles formes de cinéma venues enrichir le paysage du court métrage français.

Quelle place occupe le court métrage par rapport au long?


Effectivement, on ne peut pas remettre en cause l’idée reçue que le court métrage est un passage pour le long tant il est vrai que beaucoup le font dans cette optique car le long peut permettre de vivre de son métier, la concentration économique se trouvant là. Même si sur un plan économique le réseau du court métrage s’est densifié et commence à avoir une véritable assise, il n’est en aucune mesure dans la capacité de rivaliser avec le long métrage, simplement parce que telle n’est pas sa vocation. Cette vision du court métrage est réductrice mais on ne peut pas et on ne doit pas l’écarter, elle existe et nous devons la prendre comme une réalité économique. Après, le court métrage peut exister à part entière sans le long, ce n’est certainement pas un « genre mineur ». La bonne définition du cinéma serait celle du cinéma qui prend le temps qu’il lui faut pour raconter son histoire, il y en a qui se racontent en deux minutes et d’autres en trois heures. La palette du court métrage du fait d’une relative absence de contraintes économiques, est selon moi plus riche en ouverture artistique que pour le long. Certains cinéastes de court préfèrent rester dans le court car le long leur fait perdre leur qualité d’auteur et la maîtrise de l’œuvre. En ce sens, le court métrage peut permettre d’exprimer au mieux la singularité du point de vue d’un cinéaste.



Le Court du jour de Lydia
Quoiqu’il arrive, l’enfance au cinéma nous émeut toujours autant. Quelque chose de pur, de naïf, ou tout simplement d’innocent persiste dans notre image rétinienne quand nous suivons à l’écran les aventures d’un énième petit enfant… Et oui, une année de plus, ces petites créatures sont au rendez-vous dans la fiction, en images réelles ou en animation, et la sélection de cette année nous présente quelques histoires qui nous touchent, nous parlent, nous émeuvent, nous rafraîchissent, une nouvelle fois.

Parmi d’autres, nous aimerions parler de A bike Ride (2009) de Bernard Attal, où l’on suit une petite fille d’une dizaine d’années dans son parcours quotidien depuis sa maison jusqu’à l’école, sur le vélo de son papa. Le réalisateur nous fait suivre les différents états d’esprit de la petite en détail, uniquement pendant ce parcours-là. Nous la verrons ennuyée, endormie, amusée, dubitative, triste, heureuse enfin. Au fil des jours, nous la croisons à vélo sur le chemin de l’école pour la suivre quelques secondes et découvrir peu à peu son histoire et la réalité qui l’entoure malgré elle.

Le scénario est impeccable. Formellement, le film cherche à recréer une image classique, bien éclairée, bien cadrée. La bande son accompagne facilement les images qui se suivent sans accroc. La petite comédienne, Nina Attal, est plus que parfaite dans son rôle, et elle réussit à transmettre à la seconde du sentiment à l’état pur. Bref, c’est un film qui est bien fait, mais pas seulement. Il parvient aussi à faire passer une idée forte, celle du côté éphémère de la vie, à travers la structure cinématographique qu’il met en place spécialement pour nous, les spectateurs. Un film qui nous offre quelques plans, quelques secondes, dont on se souviendra longtemps sans aucun doute.

 

Le Court du jour d’Amiel

Le regard frondeur, la moue rageuse, des jambes squelettiques, habillé de rouge comme son personnage favori « the six dollar man », cela fait longtemps que l’on n’avait pas vu une expression enfantine aussi forte. Le petit homme porte en lui la rage d’un Denis Lavant transformé par Leos Carax dans son film Merde. Ce jeune acteur certainement amateur est hors du commun. Il investit le plan de sa présence irréelle et pourtant si naturelle. Ses actions sont complètement déconnectées de toute attente. Sa conduite est régie par la simple conviction de pouvoir être comme son héros, dôté de pouvoirs qui lui permettent d’affronter toutes les menaces. Sa rage n’a d’égale que son mutisme et son silence. Sourd aux attaques extérieures, seule une gamine de son âge est capable de percer sa carapace.

Si les réalisateurs néo-zélandais de leur premier film The Six dollar fifty man, Mark Albiston et Louis Sutherland, arrivent à investir leur film d’une puissance figurative si impressionante, c’est qu’ils ont trouvé leur sujet en la personne de ce jeune acteur. Pas besoin d’aller chercher plus loin, leur sujet est sous nos yeux. Il ne reste plus qu’à se mettre à son niveau.

La question du point de vue est essentielle au récit de l’enfance et le double du héros donne toute sa pertinence au découpage et à l’esthétique saturée. Graphique, l’univers de l’école fait penser à une grande bande déssinée où chaque figure serait un monstre tapi dans l’ombre. Des gros durs de la cour d’école au corps enseignant, tous sont prêts à provoquer et à attendre sa chute. Ainsi, l’aire scolaire ressemble plus à terrain miné qu’à un lieu d’épanouissement.

Chaque plan est d’une précision digne des meilleurs storyboards. Les limites de cadre se définissent au champ d’action du gamin et anihilent la profondeur de champ. Les contre-plongées écrasantes déforment les perspectives, les flous introduisent la crainte et les gros plans de visage sur Andy semblent être la seule réponse à l’affront. Nul besoin de parole ici, l’image se suffit à elle-même.

La sérénité ne semble pouvoir se trouver que dans les hauteurs. L’absolu se trouve dans les airs, là-haut sur ces toits où les ballons se coincent et où il est interdit de se rendre, là où les amours se forment sur des bouts de papier. Le retour au sol n’est qu’affrontement pour le héros qui cherche un ailleurs dans le dessin. Comme le souligne si bien le proviseur après l’avoir épargné d’une punition sévère, « you like comics, no ? ».

Oui, la vie est ailleurs pour notre monstre-héros en culotte courte. Devant son autoportrait dessiné ou dans le regard de cette fillette à la fois complice et spectatrice privilégiée de ses actes, il vit et sourit enfin.

 


 
Relire ici l’épisode précédent.

 


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