Danny Glover président des États-Unis. L’ironie est grande. Sans mesure. Le blockbuster, l’air de rien, propage ses informations ici et là, sur sa vision de l’Histoire contemporaine, la nôtre, celle commune à tous. En procédant de la sorte, il nous renseigne au moins sur l’évolution de son propre genre, son nouvel état d’esprit, sa souhaitable réinvention. Danny Glover président des États-Unis. Spectacle surprenant, décontenançant. Il y a 20 ans de ça, il était « trop vieux pour ces conneries », avec Mel Gibson, dans l‘Arme Fatale. Aujourd’hui, il est la représentation officielle de Barack Obama. Il y a toujours quelque chose de l’ordre de l’officialisation dans les blockbusters, celle d’une conscience collective qui ferait maintenant passer pour banal ce qu’hier encore on trouvait formidable, exceptionnel ou rare. Ceci passe cette fois par un détail, pris comme une évidence : la couleur de peau.
Le pathétique du blockbuster est donc bien dans cette « évolution ». Il se range et se rangera toujours du côté de l’opinion majoritaire. Il y aurait presque un livre à écrire sur les représentations hollywoodiennes de présidents des États-Unis. On se souvient de l’improbable Bill Pullman dans Independance Day (du même Emmerich) qui retrouvait sa jeunesse de pilote de chasse pour aller défoncer de l’alien. Il y aura maintenant Danny Glover, président noir, un peu dépassé par les évènements, se retrouvant face à un problème trop grand pour sa fonction, ayant déjà l’âge d’être grand-père et se résignant à la prière, préférant sombrer avec son navire plutôt que le quitter lorsqu’un tsunami est annoncé sur la Maison Blanche.
Après un premier tremblement de terre, on le voit quasiment « recoloré », le noir de sa peau étant atténué par de la poussière blanche, réminiscence du 11 septembre. On ne sait trop quoi penser de ce spectacle. La dimension politique, certes, est là dans 2012, dans tous les plans, à chaque plan en fait. Mais son emballage est tellement formaté, industrialisé qu’elle en deviendrait presque invisble, tellement les amalgames sont innombrables. 2012, ce serait comme ces boites de chocolats que l’on acheterait avec un poème de Rimbaud sur le côté, parce que ça fait joli. Même goût, même saveur, même odeur de plastique recyclé. Même pas désolant, ni inacceptable. Encore moins sans intêret : 2012, c’est un produit de contrôle des masses qui ne sait même plus vers quoi s’orienter et, donc, y met un peu de tout, chipant ses influences et ses idées un peu partout, espérant sans doute qu’on n’y verra que du feu. Il y a dix, ans, la propagande était au moins claire, limpide : dans Independance Day, l’alien (l’étranger donc…) n’était pas le bienvenu, car hostile. Il fallait absolument s’en débarasser pour sauver la nation. Ici, la seule issue est de pointer l’Afrique comme terre d’accueil (c’est une des tendances du moment). À la fin, tous les rescapés mettront le cap sur Johannesburg, devenu le nouveau point culminant du globe (« Tout le continent africain s’est soulevé », la métaphore est claire). District 9, le prochain Eastwood, biopic sur Nelson Mandela, la Coupe du Monde de football à venir l’été prochain, les nombreuses organisations humanitaires pour sauver ce qui peut l’être de l’Afrique… Emmerich sait que c’est de ce côté que le vent souffle en ce moment, et c’est donc dans cette direction qu’il emmène tout le monde à la fin de son film.
Il est presque vain de mentionner la seule qualité cinématographique, tellement nous sont resservis les mêmes scènes, les mêmes formes, les mêmes codes pour assurer un moindre suspense, les mêmes scènes de « joies »… Ce qui sortirait un peu du lot, dans 2012, c’est peut-être cette dissolution de la ville d’où s’enfuient John Cusack et sa famille, ville-jouet, ville carton-pâte, ville pâte-à-modeler qui disparaît en une minute chrono, les voitures dégringolant d’autoroutes friables, les immeubles s’affaissant les uns sur les autres, et le petit avion de la cellule familiale jouant à se frayer un passage au mileu d’une urbanisation qui se fissure. Ce passage n’est pas inintéressant, Emmerich abandonnant toute forme de réalisme pour s’amuser avec les possibles formels que lui offrent les effets spéciaux, utilisant ses figures au moins à ce moment-là comme ils doivent l’être : de grands jouets avec lesquels s’amuser, à projeter sur un grand écran de cinéma, espace à investir, à explorer, champ vide sur lequel la lumière peut être projeté n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment. Pendant ces deux-trois minutes de destruction massive, on espère, en vain. Cette folie n’était que passagère et ne se reproduira pas, les scènes d’action manquant cruellement d’inventivité.
Au final, John Cusack est une des seules qualités du film, atténuant le patriotisme survitaminé d’Emmerich avec un peu de décontraction et de naturel, ayant souvent l’air de se demander pourquoi il est là, comment il vient de faire ce qu’il vient de faire. On sauvera aussi Woody Harrelson, tellement outrancier qu’il en deviendrait presque séduisant. La question est donc toujours la même : trouver le grain de folie, le moindre espace de liberté au sein d’une production si avide de gigantisme et quadrillée de tous côtés.