« Décembre 1941, une semaine après Pearl Harbor, la Californie, comme le reste des Etats-Unis est en ébullition : l’attaque surprise des japonais à Hawaï a plongé la population dans l’hystérie et la certitude d’être la prochaine cible de l’empire du Soleil Levant. C’est dans ce climat de folie collective qu’un sous-marin japonais fait surface juste à côté de Los Angeles… »
Rencontre de trois types.
A l’origine de ce projet colossal, il y a deux hommes, un duo en fait : celui qui sera à l’origine d’un des plus gros succès des années 80 : Retour vers le futur; « les deux Bob », à savoir Robert Zemeckis et son compère Bob Gale. Au début des années 70, Zemeckis et Gale sont fraîchement sortis de USC (University of Southern California, d’où sortent un bon paquet de réalisateurs et scénaristes qui émergeront à cette période). Ils jettent plusieurs idées de scénarios sur le papier, l’un d’eux : Tank, va attirer l’attention de John Milius (lui aussi ancien de USC). Intéressé par le duo, leurs idées et leur énergie, Milius va leur demander quelles autres possibilités de scénarios les deux compères ont en tête.
« The night the japs attacked Hollywood »
C’est là que Gale et Zemeckis lui parleront de cette idée de film basé sur un fait réel de la guerre : une nuit de février 1942, une fausse alerte donnée sans aucune raison a entraîné le black out de Los Angeles et le mitraillage pendant plusieurs heures d’un ciel totalement vide ! Ils y combineront aussi l’anecdote d’un capitaine de sous-marin japonais tirant quelques obus près d’une raffinerie la même année. Emballé par ce projet, Milius leur confie l’écriture du scénario. Les deux Bob vont se plonger dans l’univers de ces premières années de guerre et vont greffer à leur histoire toutes les anecdotes les plus folles possibles : les émeutes entre soldats et les zazous latinos (les Zootsuits) ou celle de l’armée installant une DCA dans le jardin d’un simple civil. Au fur et à mesure de l’écriture, le film prend des proportions énormes, multipliant les personnages, les intrigues, les gags, explosions, moments de panique et d’hystérie, se moquant royalement du souvenir de cette période. A la lecture du scénario fini, Milius se réjouit, le qualifiant de « grand moment d’irresponsabilité sociale ». Milius étant bon ami avec Spielberg, il lui fait lire le scénario. Celui-ci, au sortir de ses succès consécutifs des Dents de la mer et Rencontres du 3e type, y voit l’occasion de changer de registre, de véritablement « se lâcher » et accepte de le réaliser.
« Ce n’est pas l’état de Californie, c’est l’état de démence! »
La grande prêtresse de la critique (mais pas toujours infaillible), Pauline Kael avait comparé le film à l’expérience de « se retrouver la tête coincée dans un flipper pendant deux heures ». Si elle donne une idée assez juste du rythme et de l’intensité de la comédie, elle ne l’utilisera que sous un angle purement négatif. Et c’est bien dommage, tant le film de Spielberg est exactement ça : un mélange de roller coaster, de cartoon live, de grande comédie loufoque sixties, de comédie musicale, d’action et un peu de film de guerre quand même ! Un Spielberg qui d’ailleurs ne se ménage pas et qui, comme à son habitude, livre un spectacle impeccable toujours axé vers le plaisir du public. Multipliant les grandes scènes de destruction, de panique, d’effets spéciaux avec l’entrain du gamin construisant patiemment son décor pour mieux le détruire.
Spielberg utilise aussi les dernières avancées techniques de l’époque, 1941 marquant les débuts de l’utilisation de la Louma (une invention française) ; une caméra sur bras télescopique permettant des mouvements et des plans-séquences inédits. L’exemple le plus visible restant la scène centrale du « Jitterbug Contest » ou Spielberg filme la poursuite entre Sitarski (Treat Williams) et Wally (Bobby DiCicco) pendant le concours de danse. Une scène purement jouissive tant Spielberg maîtrise l’espace et s’amuse, en mariant les chorégraphies dignes de Busby Berkeley à la bagarre fordienne façon L’Homme tranquille. De même John Williams, l’acolyte de toujours, pondra une partition ou l’aspect americana vire à la bouffonnerie tout en conservant son côté exaltant : le « main theme » étant une fanfare dont l’énergie n’a rien à envier à celle d’Indiana Jones. Cerise sur le gâteau pour Williams, il retrouvera les racines jazz de ses débuts en parodiant le Sing, sing, sing de Benny Goodman en un Swing, swing, swing illustrant le « Jitterbug contest ».
Pour une première incursion dans la comédie pure, Spielberg déploie tout l’arsenal à sa disposition, allant du gag le plus « usé » de l’histoire du cinéma (un GI se prend un gâteau en plein visage) à l’auto parodie complice avec le public : la scène d’ouverture voit une jeune baigneuse nager au bord de la plage, reproduisant les mêmes mouvements (et Spielberg de reproduire les mêmes plans) que la première victime des Dents de la mer (d’autant plus qu’il s’agit de la même actrice) quand commence à retentir le célèbre thème de John Williams… et la baigneuse de finir accrochée au périscope du sous-marin japonais !
Dans ce joyeux capharnaüm, le Général Stillwell semble être le seul personnage censé, refusant de céder à la panique et quand la ville sombre dans la folie, il préfère aller au cinéma voir Dumbo ! Un rôle initialement prévu pour John Wayne (le projet remontant à 1975) mais que celui-ci refusa qualifiant le film d’anti patriotique. Charlton Heston refusant aussi, c’est Robert Stack qui récupèrera le rôle et avant Y’a t-il un pilote pour sauver l’avion ? démontre déjà son talent comique.