Huis clos à la prison des femmes
Peter Kerekes est un réalisateur slovaque diplômé de l’école de cinéma de Bratislava où il est aussi maintenant enseignant. En raison de la pandémie et de l’absence du monteur, certains étudiants ont aussi participé au montage du film. Connu pour ses documentaires, il nous livre ici sa première fiction inspirée d’une histoire vraie, celle des 107 femmes d’une prison d’Odessa en Ukraine, la colonie 74. Le film est entièrement filmé dans ce pays, non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’il leur a été plus facile d’obtenir l’autorisation de filmer dans ce pays et dans cette prison. Mais 107 Mothers conserve toutefois bien des aspects du documentaire. Toutes les actrices du film sont vraiment les prisonnières, sauf l’actrice principale, Maryna Klimov, qui interprète le rôle de Lesya et qui est une comédienne professionnelle qui n’avait jamais mis les pieds en prison. Les enfants aussi ne sont pas les propres enfants des détenues mais ont été choisis par casting justement pour les respecter.
Deux femmes au centre
Le film raconte en fait un univers féminin puisqu’il s’agit d’une prison de femmes. On n’y croise aucun homme et il tourne surtout autour de deux personnages principaux : Lesya incarcérée lorsqu’elle était enceinte parce qu’elle a tué son mari par jalousie. Elle accouche en prison et n’a le droit de voir son enfant que quelques heures par jour jusqu’à ce qu’il ait trois ans et qu’il soit placé en orphelinat, d’où sa tentative désespérée de convaincre sa mère, sa soeur ou sa belle-mère qui refusent toutes de s’en occuper. Le deuxième personnage est Iryna Kiryazeva, la vraie gardienne de la prison et qui a fasciné le réalisateur dès le départ. Elle est presque prisonnière elle aussi puisqu’elle vit dans un tout petit appartement au sein de la prison et que l’une de ses missions est de censurer le courrier que reçoivent les prisonnières. Au départ, Peter Kerekes voulait consacrer son film à la censure, mais il s’est rendu compte qu’il était plus intéressant de filmer la vie même de ces détenues. On sait que c’est la mode de nos jours de filmer la condition pénitentiaire, mais le but du réalisateur est tout différent. Il nous offre un beau film à la fois grave, plein d’humanité et digne, distillant parfois de l’humour et même beaucoup de poésie dans ce pays maintenant dévasté par la guerre. Pourtant ce film qui aurait pu être d’une infinie tristesse, sorte de témoignage noir, est très lumineux.
Le travail de la lumière
Le chef opérateur, Martin Kollár, est parvenu à donner beaucoup de lumière à ces intérieurs, en jouant avec les réflecteurs, en trouvant des murs magnifiques en pavés de verre et surtout aussi en filmant en été. Les visages des femmes et les enfants sont particulièrement bien mis en valeur et le réalisateur a donné son secret de tournage dans le dossier de presse du film. Son film montre cependant bien la dureté de la vie en Ukraine même avant la guerre, notamment dans cette ville portuaire d’Odessa qui a toujours été une ville franche, où la criminalité était une des caractéristiques. Ce n’est donc pas étonnant qu’il se soit déplacé jusque là pour filmer la prison de femmes et ses tourments. Peter Kerekes déclare pour terminer : « J’espère que mon film contribuera à porter l’attention sur Odessa, qui est bientôt assiégée, sur nos amis et amies qui sont toujours là-bas, qui n’ont pas pu partir. Ce film peut également aider à comprendre certaines choses, car il a été tourné presque entièrement en russe, même s’il se déroule en Ukraine et, en plus, il a été soutenu par le ministère ukrainien de la culture… Cet été, en juillet, il y a un festival de cinéma à Odessa et j’y suis invité, alors j’espère bien que toute cette merde sera terminée! »