Youth

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Trois ans après « La Grande Bellezza » et sur un programme similaire, Sorrentino fait de nouveau étalage d’une éclatante maîtrise formelle. Mais ne renouvelle pas, loin de là, la réussite du précédent film.

Youth, en italien La Giovinezza (Jeunesse), tel est le titre joyeux et quelque peu ironique du dernier long métrage de Paolo Sorrentino, riche en échos de son précédent fait d’armes, La Grande Bellezza (2012). A nouveau, le réalisateur compose des variations sur les thèmes de la vieillesse, du temps qui passe, de la création artistique. A nouveau aussi, le spectateur se retrouve balloté entre personnages excentriques et saynètes décapantes, qui le convient à une traversée des apparences. Au moins deux finalités avouées à un tel voyage : primo, à force de brasser les clichés et la laideur bling-bling, les rendre à leur insignifiance de stricts signifiants ; deuzio : une fois le film épuré de ces scories, atteindre ce point de l’esprit où se dévoilent la sincérité sous les faux-semblants et le saint graal d’une beauté fragile et authentique sous le kitsch clinquant du monde sorrentinien. Telle semble être, du moins, la note d’intention du film.
Le guide du spectateur au sein de cet ambitieux voyage est incarné non plus par le fidèle Toni Servillo (Il Divo (2008), La Grande Bellezza), mais par Michael Caine. L’acteur britannique se coule avec aisance dans les habits de Fred, compositeur et chef d’orchestre à la retraite, qui passe ses vacances dans un luxueux hôtel des Alpes suisses en compagnie de Mick, un vieil ami réalisateur (Harvey Keitel). A ces deux prestigieux vétérans s’adjoignent trois guest stars issues de trois générations d’acteurs américains : Jane Fonda, fascinante dans un rôle manifestement écrit pour elle ; Rachel Weisz, convaincante sans plus, en fille de Michael Caine ; et Paul Dano, plus intriguant et insaisissable que jamais. Ce surprenant casting constitue le premier atout du film, et montre à quel point, après son Oscar du meilleur film étranger pour La Grande Bellezza, Sorrentino semble désireux de partir à la conquête du marché anglo-saxon.

L’atmosphère de l’hôtel, limpide, voluptueuse, constitue le second point fort du film. Son charme tranquille, rehaussé par la clarté montagnarde, sert d’écrin trompeusement radieux aux divagations des personnages et prend dignement le relais des splendeurs romaines du précédent Sorrentino. Devant certaines scènes – notamment les bains de vapeur où défilent des notables dénudés – il est difficile de ne pas penser à la station thermale de 8 ½ (Federico Fellini, 1963), autre film sur les affres de la création artistique, qui succédait aux peintures de la Rome mondaine de La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960), une des inspirations de La Grande Bellezza. Ces références felliniennes sont d’ailleurs revendiquées par Sorrentino lui-même, avec une insistance qui se retourne contre ses propres films : un abîme sépare la nécessité intérieure, brûlante, qui aimantait les chefs d’œuvre de Fellini, du carnaval maniériste de Sorrentino, qui certes flatte toujours la rétine, souvent l’oreille, mais ne fait justement que les flatter, s’affairant uniquement en surface et peinant à prendre un envol émotionnel.

 

La méthode Sorrentino est désormais bien rôdée, peut-être trop. L’aventure intérieure contée par Youth entend tracer sa courbe d’un profond désarroi existentiel vers une jubilation cathartique. A cette fin, le film égrène les rencontres improbables, les anecdotes incongrues et drolatiques. Pour réguler ce flux narratif et sensoriel en roue libre, Sorrentino recourt comme à son habitude à une mise en scène en cinémascope, cadrée au millimètre, qui suscite un ironique effet de contraste. De cette prolifération d’images et de sons régulée par une maestria exhibitionniste surgit alors une matière nouvelle, effervescente, potentiellement émouvante, en mesure d’acheter au film une rédemption que la vacuité pétaradante du début du film semblait appeler comme un trou d’air. 

C’est un procédé similaire qu’avait appliqué La Grande Bellezza. Ce dernier assumait également avec impudence son caractère artificiel et prémédité. Mais sur la durée, en jouant de certains effets sensoriels, il finissait par acquérir une épaisseur, par susciter un trouble. Au bout de son parcours, La Grande Bellezza rendait attachants ses personnages et nimbait d’émotion son climax. Or, Youth ne reproduit pas ce quasi-tour de force. Le sensationnel se réduit à de l’écume, scintillante et moussue comme du champagne, mais qui ne remue pas les grands fonds, ne ressasse qu’une imagerie pré-mâchée. Les plans rutilants du film arrivent souvent de nulle part, déconnectés du processus créatif qui les a fait naître et portés par le seul souci de sidérer. D’où un empilement d’images toutes faites et un enchaînement des valeurs de plans subordonné à une pure logique de l’effet. Résultat : d’une scène à l’autre, rien qui frémisse, rien qui se construise, rien qui respire. Si bien qu’un insinuant parfum, frelaté et mortifère, finit par se dégager de ce film sans vie, jusqu’à carrément nous asphyxier dans les lénifiantes dernières minutes.

Bref, un film bancal, exsangue, et, après This Must Be the Place (2011), une accablante confirmation que malgré la grisante sensation qu’elle semble lui procurer, l’expatriation ne réussit décidément pas à Sorrentino.

Titre original : Youth

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Durée : 118 mn


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