L’atmosphère de l’hôtel, limpide, voluptueuse, constitue le second point fort du film. Son charme tranquille, rehaussé par la clarté montagnarde, sert d’écrin trompeusement radieux aux divagations des personnages et prend dignement le relais des splendeurs romaines du précédent Sorrentino. Devant certaines scènes – notamment les bains de vapeur où défilent des notables dénudés – il est difficile de ne pas penser à la station thermale de 8 ½ (Federico Fellini, 1963), autre film sur les affres de la création artistique, qui succédait aux peintures de la Rome mondaine de La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960), une des inspirations de La Grande Bellezza. Ces références felliniennes sont d’ailleurs revendiquées par Sorrentino lui-même, avec une insistance qui se retourne contre ses propres films : un abîme sépare la nécessité intérieure, brûlante, qui aimantait les chefs d’œuvre de Fellini, du carnaval maniériste de Sorrentino, qui certes flatte toujours la rétine, souvent l’oreille, mais ne fait justement que les flatter, s’affairant uniquement en surface et peinant à prendre un envol émotionnel.
La méthode Sorrentino est désormais bien rôdée, peut-être trop. L’aventure intérieure contée par Youth entend tracer sa courbe d’un profond désarroi existentiel vers une jubilation cathartique. A cette fin, le film égrène les rencontres improbables, les anecdotes incongrues et drolatiques. Pour réguler ce flux narratif et sensoriel en roue libre, Sorrentino recourt comme à son habitude à une mise en scène en cinémascope, cadrée au millimètre, qui suscite un ironique effet de contraste. De cette prolifération d’images et de sons régulée par une maestria exhibitionniste surgit alors une matière nouvelle, effervescente, potentiellement émouvante, en mesure d’acheter au film une rédemption que la vacuité pétaradante du début du film semblait appeler comme un trou d’air.
C’est un procédé similaire qu’avait appliqué La Grande Bellezza. Ce dernier assumait également avec impudence son caractère artificiel et prémédité. Mais sur la durée, en jouant de certains effets sensoriels, il finissait par acquérir une épaisseur, par susciter un trouble. Au bout de son parcours, La Grande Bellezza rendait attachants ses personnages et nimbait d’émotion son climax. Or, Youth ne reproduit pas ce quasi-tour de force. Le sensationnel se réduit à de l’écume, scintillante et moussue comme du champagne, mais qui ne remue pas les grands fonds, ne ressasse qu’une imagerie pré-mâchée. Les plans rutilants du film arrivent souvent de nulle part, déconnectés du processus créatif qui les a fait naître et portés par le seul souci de sidérer. D’où un empilement d’images toutes faites et un enchaînement des valeurs de plans subordonné à une pure logique de l’effet. Résultat : d’une scène à l’autre, rien qui frémisse, rien qui se construise, rien qui respire. Si bien qu’un insinuant parfum, frelaté et mortifère, finit par se dégager de ce film sans vie, jusqu’à carrément nous asphyxier dans les lénifiantes dernières minutes.
Bref, un film bancal, exsangue, et, après This Must Be the Place (2011), une accablante confirmation que malgré la grisante sensation qu’elle semble lui procurer, l’expatriation ne réussit décidément pas à Sorrentino.