Yourself and Yours

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Légèreté des bulles et amertume de la mousse…

Minjung est une femme que tout le monde croit connaître. Mais Youngsoo, son petit ami peintre, croit la connaître mieux que tout le monde. Des hommes abordent Minjung – le quadragénaire Jaeyoung, le cinéaste Sanghuong -, mais la jeune femme ne les reconnait plus. Personnage énigmatique, Minjung semble être frappée d’amnésie ou victime de malentendus : ce n’était pas elle qu’ils ont rencontrée, mais sa soeur jumelle ! Yourself and yours joue sur une étrange familiarité, flirte avec des éléments fantastiques. Dans le précédent film d’Hong Sang-Soo, Un jour avec, un jour sans (2016), tout l’enjeu s’articulait autour du …et si ? Le récit se coupait en deux, la seconde partie réécrivait la première et traitait la variation comme un moment de bascule. La suite de la narration en était bouleversée et la forme se suffisait à elle-même, jamais questionnée dans son rapport au réel (est-ce un rêve, un délire…?), traitement poursuivi dans Yourself and Yours.  
 
 

 
 
Chercher le déséquilibre

Là aussi, le point de bascule, la rupture, sont les pivots sur lesquels s’arquent les dialogues qui se déploient lors de longs plans fixes. Une dispute entre Minjung et Youngsoo qui se termine sur les supplications de celui-ci, des retrouvailles manquées entre Jaeyoung et Minjung au bar sous les yeux de Sanghuong (elle ne le reconnait pas) qui seront celles entre Jaeyoung et Sanghuong (d’anciens camarades d’école). Ce qui compte pour Hong Sang-Soo, c’est le moment présent et la présence des personnes. On connaissait la tendance au dilettantisme qui caractérise la plupart de ses personnages, mais rien d’aussi exacerbé que chez Minjung. Yourself and Yours se compose de blocs de scènes se clôturant sur des fondus au noir, Minjung semblant évoluer au gré de ces séquences, susceptible d’apparaître à chaque fois différente. Malin, Hong Sang-Soo confère la dernière ellipse de son film sur le cadre resserré d’une bougie : du temps passe à l’intérieur même du plan, comme une certaine unité retrouvée.

Difficile de ne pas penser aux adaptations cinématographiques de La Femme et le pantin, roman de Pierre Louÿs porté à l’écran par Joseph von Sternberg et Luis Buñuel, où la femme est insaisissable, double – dédoublée chez Buñuel. Mais chez Hong Sang-Soo, difficile de déterminer si Minjung mène le jeu comme Marlene Dietrich dans le film de Sternberg. Frappée d’amnésies, peut-être dues à l’alcool, Minjung semble avant tout fuir. Elle concentre tout un imaginaire autour d’elle. Tout le quartier semble connaître ce couple constitué d’une alcoolique et d’un dragueur, et les ragots vont bon train. La dispute du couple au début du film porte sur une altercation entre Minjung et un homme dans un bar où, saoûle, elle se serrait battue avec lui. Elle et Youngsoo apparaissent comme mal assortis ; lui, lui demandant d’arrêter l’alcool, elle incapable d’arrêter, rencontrant plusieurs hommes, trinquant avec eux alors que lui reste à boire tristement ses bières dans le même restaurant. Yourself and Yours clôt sa première partie sur une rupture du couple ; le reste du film se déroule sous la forme d’un étrange chassé-croisé au sein de la ville. L’une des amies de Youngsoo lui livre peut-être l’une des clés du récit : les hommes ne comprennent pas les femmes car ils les pensent différentes d’eux.
 

 

 
Puis, cette conclusion improbable, miraculée, où Youngsoo comprend l’importance du lâcher prise. Le contrôle n’était qu’une illusion. Lui, qui se projetait dans l’avenir par un mariage avec Minjung, événement inéluctable du fait de son âge, accepte dorénavant le moment présent. Ensemble dans le plan, unité retrouvée, mais une unité instable, vivante. Car, à l’inverse de Paterson (Jim Jarmusch, 2016), comment être sûr que la personne qui se réveille à nos côtés soit la même que la veille ?

Titre original : Yourself and Yours

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Durée : 86 mn


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