Entretien avec Yang Ik-June

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« Un film coup de poing » : jamais cette expression n’aura été aussi juste, tant « Breathless », premier long métrage d’un jeune réalisateur coréen, est traversé par la rage. Une énergie qu’il revendique, posément, en interview…

C’est son premier long métrage – auteur-acteur-réalisateur-producteur – et la rage inouïe qui s’en dégage laisse au minimum abasourdi. Sans voix. De fait, Breathless est un film-catharsis jonché d’injures et de coups. Assez sidérant. Traversé par la violence d’une société coréenne qu’il traque et dénonce au plus près, il témoigne, toutefois, d’une forme d’espoir. Donc d’une émotion fragile, fine, ténue, à nulle autre pareille. De celle qui, probablement, ne pourra qu’attiser l’attraction d’ores et déjà éprouvée entre le public français et le cinéma « made in Corea ». En clair, le jeune Yang Ik-June mérite d’intégrer rapidement le petit panthéon virtuel fréquenté par les Park Chan-wook et autres Joon-ho Bong (pour ne citer que les plus spectaculaires). Ne serait-ce que pour s’autoriser à rêver, avec lui, d’un deuxième opus, qui confirmerait ces bien sombres promesses. Pour l’heure, écoutons-le en parler. Posément. Logiquement. Comme au cœur d’un « chaos calme »…

Vécu

« Entre 15 et 20% du film sont des scènes que j’ai vécues moi-même. Quand je revois le film aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est mon histoire, surtout bien sûr, à travers le personnage masculin, que j’interprète d’ailleurs ! Pour le personnage féminin, la jeune lycéenne interprétée par Kim Kkobbi, j’avais interviewé une amie qui avait vécu des situations similaires. ‘Breathless’ n’est donc pas l’expression métaphorique de quelque chose. C’est réaliste, direct. Beaucoup de gens de mon âge, encore une fois, ont vécu cette réalité. Beaucoup ont été exposés à la violence familiale ».

Père

« J’ai 34 ans, mes parents sont nés à peu près à l’époque de la guerre de Corée, ils ont une soixantaine d’années. Le film, c’est le regard d’un individu sur une génération. Dans cette société coréenne pas très saine, dictatoriale, on a vraiment imposé trop de responsabilités aux pères. Cela s’est traduit par cette violence. Comme s’ils retournaient, à l’égard de leur propre famille, la répression, la violence que l’État exerçait sur eux. Les pères rendus impuissants deviennent les bourreaux de leurs fils, voilà ce dont je voulais parler ».

Honte et choc

« Certains réalisateurs coréens cherchent encore à dissimuler la réalité de notre pays. Cela fait partie de notre culture, cette honte, ce goût du secret. Ne rien dire à l’extérieur. Moi, j’aimerais que ça change ! C’est pour ça, aussi, que j’ai créé le personnage du petit frère de l’héroïne, dans le film. Il faudrait commencer à faire bouger les choses avec la génération de ce petit frère, justement. Qu’il ait une vie meilleure que la nôtre. J’ai bon espoir… Je l’ai senti en discutant avec le public, en Corée, après les projections. Ce film a provoqué un choc là-bas ! Les gens ont réagi de manière assez forte, mais pour certains c’était une thérapie. Des gens m’ont même dit que ce film les avait guéris : ils sont capables, désormais, de voir cette violence avec moins de haine ».

Cinéma

« Je n’ai jamais rêvé d’être réalisateur. J’aime le cinéma, mais ce qui est important, c’est qu’à travers ce film, j’aie pu raconter cette histoire. Et je me suis battu ! D’abord, j’ai écrit le scénario en 23 jours, puisant dans mes souvenirs, mes expériences, ma colère. Ensuite, j’ai dû emprunter de l’argent un peu partout pour le produire. En plus, comme c’était mon premier film, la situation était difficile. J’ai choisi des acteurs en qui je pouvais avoir confiance… J’avais prévu de tourner 50 jours, au bout de 35, j’ai dû renvoyer tout le monde faute d’argent ! J’espère que ce sera le dernier film réalisé de cette façon… « .

Propos recueillis à Paris en novembre 2009.


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