Un film d’animation basé sur les récits des réfugiés au Liban
Mats Grorud est un réalisateur et animateur norvégien. Il a déjà réalisé deux courts métrages et travaillé en tant qu’animateur sur plusieurs longs métrages, documentaires et vidéoclips. Quand il était enfant, sa mère travaillait comme infirmière dans des camps de réfugiés au Liban. Dans les années 1990, Mats était étudiant à l’université américaine de Beyrouth, au Liban, et donnait des cours d’anglais et d’animation dans le camp de réfugiés de Burj El Barajneh. Il a écrit le scénario de son premier long métrage, Wardi, en s’appuyant sur les témoignages de réfugiés et sur sa propre expérience. Ce film est donc une tentative pour rendre compte du drame vécu par les Palestiniens qui se sont réfugiés au Liban en 1948, peu après la création de l’Etat d’Israël et qu’on appelle la Nakba, autrement dit la « catastrophe » en arabe, et qui désigne l’exode forcé d’environ 700.000 Palestiniens entre 1947 et 1948. « Depuis, le camp ne cesse de grossir, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film. Nous avons déployé des efforts considérables pour trouver des photos des camps datant des 70 dernières années. J’ai commencé mes recherches en récupérant des photos auprès de ma mère qui a travaillé comme infirmière dans les camps dans les années 80 et au-delà. »
Vivre dans un camp de réfugiés
Pour sa sortie en France, ce beau film d’animation à la grande qualité esthétique basée sur le travail des marionnettes et de la 2D grâce aux studios français Foliascope de Bourg-lès-Valence, ne pouvait pas plus mal tomber. En effet, l’agression verbale d’Alain Finkielkraut lors d’une manifestation dite des Gilets jaunes par des militants pro-palestiniens ne va pas aider ce film à se faire une place dans le paysage culturel français comme on dit maintenant, sans faire l’économie de cet aspect politique pour le moins explosif. De plus, il est évident que le film prend dès le début position pour défendre les réfugiés palestiniens retenus dans des camps de fortune alors que certains riches de leur diaspora avaient réussi à obtenir la nationalité libanaise. Comme quoi, l’assertion de La Fontaine pour qui le jugement sera différent selon qu’on est puissant ou misérable, est aussi valable au Proche-Orient, d’autant que l’Etat d’Israël avait été créé avec l’accord de la communauté internationale. Il eût fallu pouvoir trouver un consensus pour que la population palestinienne puisse intégrer le nouveau pays qui venait d’être créé. Mais cela, aucune des deux parties en présence semblait n’en vouloir.
Un beau travail d’animation
C’est pourquoi nous tâcherons de ne considérer ce film que sous l’angle purement esthétique même s’il tente de montrer les difficultés des peuples déracinés à conserver leurs repères, leurs traditions et leur mémoire. Le film, situé dans des décors qui rappellent un camp au Liban, raconte l’histoire de Wardi dont l’arrière grand-père veut lui donner la clé de sa maison restée en Palestine. Elle croit y lire son désir de mourir, son désespoir. Le film raconte donc le malheur de milliers de personnes déplacées qui n’arrivent plus à croire à leur rédemption et à leur liberté. C’est malheureusement le cas sous bien des latitudes, mais ici le réalisateur confie au dossier de presse : « Les personnages de Wardi et de son arrière-grand-père, par exemple, sont très largement inspirés d’une de mes amies, Hanan Bairakji, et de sa relation avec son grand-père. Il est décédé il y a longtemps, mais a permis d’esquisser le personnage de Sidi. » A travers ces personnages de carton pâte qui permettent d’instaurer la distance nécessaire propre au film d’animation, Mats Grorud est parvenu à faire de Wardi un film qui échappe à la polémique en devenant presque allégorique, tout en respectant le fait historique. « Certaines répliques du film sont des citations directes tandis que d’autres s’inspirent des histoires et des détails qui m’ont été racontés, explique-t-il encore. Mon objectif était de réaliser un film qui semble aussi réaliste que possible aux yeux des Palestiniens qui vivent au Liban. Il entremêle différentes personnes, différentes histoires et différentes situations vécues dans le camp. » Au passage, nous reconnaîtrons la voix de Bouraouia Marzouk, venue du cinéma d’Abdelatif Kechiche, et qui apporte son timbre si particulier et suave au personnage de Rozette.