Wackness (The Wackness)

Article écrit par

L’herbe est-elle le point de sevrage face à la crise existentielle, substance commune entre un jeune de 16 ans et un psychologue ? Jonathan Levine, dans « Wackness », se garde de donner la réponse, mais décrit l’année 1994 à New York : drogue, rap, hip-hop, Kurt Cobain et Giuliani.

Sortie le 24 septembre

De nos jours, rares sont les films américains qui osent traiter de l’avant – 11 septembre sans y tenter de déceler un symptôme latent, caché dans les recoins abscons de la société. De manière générale, mis à part les films de reconstitution, peu de cinéastes se tournent vers ces « post-décennies ». Dans Wackness, les Twin Towers, comme le montre l’image finale, sont toujours debout, ressuscitant le landscape auparavant sollicité chez Woody Allen, époque Manhattan. Alors on crut bon s’émouvoir de Wackness….

    Mais cette image choisie délibérément par Jonathan Lévine est ambiguë, car au dessein flou. Que signifie-t-elle : nostalgie affective ou comparaison ouverte ? Paradoxalement, les deux sont majeurs dans le film, mais restent mineurement exploitées. Jonathan Levine, dont la biographie inspire ce film, s’attache à des objets fétiches, envoyés aux oubliettes durant les années 2000 ; les bip (ancêtres des téléphones portables), les consoles (très loin de l’interactivité et de la mobilité de la Wii), servent de décorum distancier, des objets subreptices ou des références appuyées.
    Concernant la couleur politico-sociale, le réalisateur s’amuse, par des petites frappes à  diaboliser  Giuliani, sans pour autant prétendre dénoncer la délinquance, ni la politique musclée du maire de New York. Wackness ne se réclame d’aucun parti pris et véhicule dans le vide une intention de véracité. Certes, son film n’est pas politique, mais de nombreuses comédies, à commencer par l’amoureux new-yorkais Woody Allen, ont su défendre avec plus de pertinence et de tact leurs opinions ou les paysages bigarrés de la Grosse Pomme. Outre les conseils de prudence des dealers, une seule situation renvoie à la politique de répression du nouveau maire de New York : deux policiers arrêtent Luke et Dr Squires alors qu’ils signaient de leurs noms une devanture. En quoi est-ce si différent de l’époque actuelle ? Idem pour Kurt Cobain : un tag artistique de son visage suffit-il à faire ressortir le souffle d’une époque ?
    Au final, l’intention du réalisateur s’effrite et arrivant à la fin du film, ce choix passe inaperçu. Wackness est et restera le portrait d’un binôme atypique, dans l’avènement pour l’un et le soubresaut pour l’autre, de la crise existentielle.

  
    Luke Shapiro se présente, voix-off et regard caméra complice : dealer, il aime le rap, regarder les culottes des filles et substituer le métro à un vaste dancing. Le réalisateur de Tous les garçons aiment Mandy Lane esquisse, de façon plaisante et sans abondances nocives, la carte du film cadencé rap et graphique. Divisé en chapitre, Wackness s’attribue des titres aux atours de graffiti, entourloupe originale à la forme classique. Ainsi de nombreuses trouvailles, telles que les dalles pavées s’allumant avec l’allégresse de Luke, surgissent dans un film évitant la lourdeur d’un portrait d’adolescent. Malheureusement, ce ton décalé et pleinement assumé fait pourtant défaut, réitérant le même érosion que la contextualisation. Il s’essouffle rapidement, éclipsant les artifices et la voix intérieure. Le réalisateur se réfugie dans un portrait plus conventionnel. Mais, à défaut de perpétuer ceci, il faut admettre que Jonathan Lévine étonne grâce à un mélange de genres et à la versatilité des personnages. Luke, bien qu’il soit rapeur et dealeur, n’apparaît pas comme rebelle ; le Dr Squires, interprété par Sir Ben Kingsley, n’est pas un psychologue rangé mais un grand enfant marginalisé par sa femme et sa belle-fille, dépressif, dont les leçons moralisatrices réjouissent par l’auto-dérision et la cocasserie.

    Préférant rompre avec quelques clichés, Wackness est avant tout le portrait de la morosité ambiante, version 1994. La profonde nostalgie de Squires, la peur de la solitude chez Luke, amorcent pour chacun une nouveau tournant. Entre drogues et médicamenteux, les personnages s’évanouissent dans leurs désirs. En cela, la photographie remplit le délicat interstice entre désir et réalité. Dans le bureau du psychologue, l’éclairage est feutré, sombre mais chaud et rassurant, tandis que le monde extérieur est fade, légèrement flouté, amplifiant le désarroi. Au lieu de vilipender  ses personnages dans une description crue, Jonathan Lévine les conduit à leurs rêves par un rayon de lumière éblouissant, façon carte postale, confortant le désir du passé et l’espoir d’un avenir prometteur.

    Wackness n’est pas un échec de contextualisation, mais un manque certain de vie de celle-ci. Le réalisateur dessine un portrait plaisant dont les fibres esthétiques et originales dépérissent. Dommage.

Titre original : Wackness

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi