Vacances (Holiday – George Cukor, 1938)

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Deux femmes, deux mondes, une société.

De la crise économique de 1929 aux années 2000 à Wall Street, le cinéma n’a cessé de se documenter sur la réalité sociale, souvent en la romançant, d’autres fois en utilisant le medium cinématographique comme outil de propagande. Les images jouent parfois un rôle thérapeutique face à cette peur concrète d’une totale insécurité financière ; d’autres fois, elles assument un rôle beaucoup plus négatif, en accentuant le gouffre économique qui crée notre propre angoisse. La réalité sociale, quelle que soit l’époque, n’est jamais loin du film catastrophe.

Des films aux antipodes les uns des autres, des années 1930 à aujourd’hui, mais qui cherchent tous à dénoncer la face cachée de notre monde financier et des répercussions, souvent malheureuses, qui en découlent. Il en résulte beaucoup de maladresses dans les films réalisés mais l’heure n’est pas ici à la dénonciation. Certains cinéastes n’utilisent la réalité sociale ni comme un prétexte ni comme une finalité en soi, mais plutôt comme une valeur implicite sous-tendant les caractères des personnages et les relations s’établissant entre eux. C’est le cas de George Cukor lorsqu’il réalise Holiday en 1938.

Exposer les clichés pour mieux s’en moquer : certains cinéastes le font très bien aujourd’hui mais Cukor assurait déjà bien le procédé à l’époque. Ce n’est pas pour rien si les historiens du cinéma le considèrent comme l’un des maîtres de la screwball comedy. C’est en mettant en scène des personnages archi-caricaturaux que Cukor dénonce le mieux leurs vices. L’opposition blonde/brune semble vieille comme le monde (1), la chevelure dépassant le stade esthétique, le simple ornement, conférant à leur personnage une véritable marque de caractère. Si sa recette comique semble décatie au regard toujours plus rôdé d’aujourd’hui, son ironie romancée fait toujours son effet. Concentrons-nous sur ses ingrédients les plus efficaces : les sœurs Seton et Johnny Case.
 
 

Julia (Doris Nolan) est blonde, un peu naïve et très « fille à papa ».
Linda (Katharine Hepburn) est brune, caractérielle et accrochée à sa ressemblance pour une mère disparue.
Si tout semble les opposer, les deux sœurs vivent une relation pour le moins fusionnelle. Les mondanités de l’une désespère l’autre qui rêve d’une vie délivrée du poids de l’argent. Julia défend un mode de vie très conservateur tandis que Linda aspire à un monde plus libertaire. Cette opposition entre les deux sœurs se concrétise au sein même du lieu dans lequel elles vivent. La maison devient alors à la fois espace de vie et huis clos politique. Le traitement est subtil et ironique, les idées sociales étant personnifiées dans les caractères contrastés des deux femmes. Cette hiérarchie sociale qu’elles s’imposent à elles-mêmes est matérialisée par l’architecture grandiloquente de la maison dans laquelle elles vivent et ont toujours vécu. Les étages de cette demeure luxueuse y sont autant de strates sociales à arpenter. Lorsqu’à l’instar de Johnny Case (Cary Grant), l’on entre dans la maison des Seton, on se retrouve dans une pièce qui ressemble plus à une salle de bal qu’à un hall d’entrée. Les escaliers sont gigantesques, le décor luxueux et le plafond d’une hauteur inhumaine. L’espace, d’entrée de jeu, en met plein les yeux. Et pour un Johnny Case sans le sou, victime directe de la crise économique, tout cet étalage, cette opulence, a un côté pompeux et déplacé, presque embarrassant. Mais Julia et son vieux père (Henry Kolker) se promènent, sans une once de culpabilité, dans cet espace comme dans un lieu protégé des crises et malheurs de l’extérieur.

 

Linda, elle, étouffe dans ce monde doré et cloisonné. Mais malgré cette vie familiale cadenassée, elle réussira à préserver son propre cocon. C’est tout en haut de cette somptueuse résidence que Linda va construire son propre refuge, loin du superflu, du « m’as-tu-vu » et des pièces en surabondance. Elle passe le plus clair de son temps seule, dans une grande chambre, près d’un feu de cheminée, son regard nostalgique effleurant des jouets d’enfant rappellant le bon vieux temps. Elle délaisse la froideur du marbre et les parures en argent noir et blanc pour la chaleur de ses pieds nus frôlant la moquette. George Cukor joue ainsi sur les extrêmes, les personnages ne sont pas modérés, tout est soit noir soit blanc. Linda est finalement comme la vie l’a faite. Johnny est comme la société lui a imposé d’être. Quant à Julia, c’est un monde de requins dirigé par son père qui l’a modelée depuis sa plus tendre enfance. Personne n’est libre. Mais certains, plus que d’autres, prétendent à l’être.

 

Un des meilleurs moments du film, représentatif de ces prises de position, concerne la soirée d’annonce des fiançailles entre Julia et Johnny. La mise en scène réussit brillamment à mettre en présence ces deux mondes, ces deux réalités sociales qui s’opposent. La soirée officielle prend place et accueille, de manière toujours plus solennelle, une tonne d’invités que Johnny Case ne connaît pas, confond, et devant lesquels il doit constamment jouer un rôle. Tout est faux et snob dans ce monde de bourgeois. Case n’est lui-même qu’auprès de Linda et de sa façon d’être, spontanée et authentique. Dans la chambre occupée par cette dernière, on rit et on s’amuse avec franchise, comme des gamins, en se montrant tels que l’on est.

Julia et Johnny sont mis en scène au sein d’un grand espace dans lequel ils peinent à se croiser et à s’aimer. L’argent rend Julia aveugle.
Linda et Johnny sont au contraire filmés ensemble dans des cadres plus serrés, les rapprochant tout au long du film de manière presque inéluctable. Eux, c’est l’amour qui risque de les rendre aveugles. Et ce serait un moindre mal.

(1) La Cinémathèque Française lui ayant même consacré une exposition en 2010.
 

Titre original : Holiday

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Durée : 93 mn


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