Une vie toute neuve

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Intimiste, émouvant, parfois drôle, touchant et d’une grande finesse, ce film raconte le drame d’une petite fille abandonnée par son père. A voir absolument.

Le malheur n’attend pas le nombre des années, il frappe parfois même très tôt à la porte d’une existence. Dans Une vie toute neuve, premier long-métrage d’Oumie Lecomte, le malheur, c’est l’abandon par son papa. d’une petite fille qui a les traits de la ravissante et espiègle Jinhee (Kim Saeron).

Nous sommes en Corée dans les années soixante-dix. Au début, un homme (dont on ne voit jamais le visage), tient par la main sa petite fille, Jinhee. Déambulation heureuse dans les ruelles, à vélo, interrompue de temps en temps par des emplettes pour Jinhee, des ballerines et une robe, et par un déjeuner. Jinhee est aux anges. Son père lui donne même l’autorisation de boire un petit verre d’alcool. Jinhee trempe ses petits doigts dans le nectar pour s’en délecter aussitôt et puis le boit d’un coup.

Cette ballade ne pouvait pas durer. Son issue – pour la petite fille – c’est un orphelinat catholique tenu par des sœurs. Ounie Lecomte filme ce véritable psychodrame  tout en douceur, sans cris, sans pathos. Lorsque Jinhee, à l’approche des grilles de l’institution religieuse, lève un regard soudain triste vers son père, nous savons qu’elle a compris et ses yeux disent tout le cataclysme qui a pu se produire en elle. Mais le monde s’intéresse peu finalement aux désastres intérieurs. Un regard vers le haut, vers l’adulte suffit à la réalisatrice pour montrer toute l’importance du drame intime qui se joue.

Tout le film est empreint de cet intimisme, quand bien même faut-il montrer l’abandon, le désespoir, la séparation, un certain nombre de thèmes qui sont universels et grâce auxquels on peut voir par le traitement qu’elle en fait, qu’Oumie Lecomte, des son premier film, donne toute la mesure  d’un style, qui certes ne demande qu’à s’affirmer, mais qui se révèle déjà très   personnel.

Il y a des scènes déchirantes d’adieu  des pensionnaires qui restent à celles qui partent lorsqu’une famille a décidé d’adopter ces dernières. Les petites en chorale chantent  ce n’est qu’un au revoir et à chaque fois c’est un nouveau déchirement, une amitié tout juste amorcée, si vite partie. Cependant, exceptés quelques petits drames, les jours s’écoulent lentement dans cette pension tenue par les religieuses attentives et douces. Mais les pensionnaires sont destinées à être placées dans des familles. A cette époque où l’adoption était autorisée en Corée, ces familles étaient nord-américaines. Lecomte, qui elle-même a été adoptée, ne souligne pas lourdement les questions (morales, philosophiques) que pose l’adoption mais montre bien des couples qui – même si l’expression peut paraître forte – viennent "faire leur marché" et choisir somme toute assez rapidement telle petite fille plutôt qu’une autre. Est-ce, comme on pourrait facilement s’en offusquer, un geste égoïste voire même un acte de consommation ? Ou y a t-il une place pour pour le sauvetage pur de son prochain ?  Bien évidemment, sommes-nous tentés de répondre, bien que ce geste puisse prêter à caution, il y a sûrement une place pour l’amour désinterressé, celui qui pousse à sauver un enfant d’une vie difficile et sans espoir.

Quoi qu’il en soit la réalisatrice ne juge pas. De façon très subtile, elle  invoque par deux fois au moins dans le film – au début le père lave les pieds de la petite fille -, la parole des Evangiles. Alors que les pensionnaires assistent à la messe, le prêtre prononce les paroles que l’évangéliste Mathieu prête au Christ en croix : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mat 27,46) et l’aumônier d’expliquer ensuite cette phrase en disant que loin d’avoir abandonné son fils, Dieu l’aime toujours de son amour plein et entier, même si le Christ, dans sa souffrance ultime, lance une supplication qui marque toute son humanité. Cet éclairage subtil va permettre d’expliquer les sources du drame de la petite fille et son côté paradoxal. En effet, bien que l’abandon soit manifeste, on peut supposer qu’il s’est fait contre la volonté du père de Jinhee et que ce dernier avec lâcheté aurait obéi à l’injonction de sa nouvelle épouse, la belle mère de la petite, de se débarrasser d’une importune. Toute la finesse de la réalisation d’Oumie Lecomte, tient dans cette révélation en creux et dans la prise de conscience mutique mais sûrement réelle de l’enfant, qu’elle ne reverra pas son père et qu’il faut désormais se tourner vers une nouvelle vie, une vie toute neuve.

Titre original : A Brand New Life

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Durée : 93 mn


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