Une nuit à Casablanca

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« Une nuit à Casablanca » consacre le come-back de Groucho, Chico & Harpo en boutefeux dissipateurs, incorrigibles fauteurs de zizanie ou semeurs de troubles dans cette « screwball » comédie à l’exotisme oriental « made in Hollywood ». En version restaurée.

« Hollywood : une plantation d’oranges où se promènent des acteurs au chômage » (Groucho Marx)

Un pot-pourri de pitreries et de répliques « massue »

Quand on évoque la dimension comique des Marx Brothers, les métaphores pyrotechniques affluent à l’esprit pour qualifier leurs prouesses scénographiques et verbales. Chaque farce est une gemme incandescente qui recycle, de film en film, un bêtisier insensé de gags hilarants, ravive un lexique impensable de mystifications éculées qui continuent de faire des étincelles comme des bâtons de dynamite à mèche longue et à combustion lente ; à priori destinés à faire long feu.

Dans un réflexe spontané de mutinerie iconoclaste, chacun des frères actionne à son tour le détonateur pour faire exploser le fil ténu d’une intrigue foutraque prétexte à déclencher des salves interminables de fous rires ; à faire s’esclaffer et se taper le derrière par terre un public complice.

Pastiche et postiche

Faisant suite à une hécatombe de meurtres non élucidés de ses infortunés prédécesseurs, Ronald Kornblow (Groucho Marx) est promu au poste peu convoité de directeur de l’hôtel Casablanca où il se fait un devoir de rembarrer les clients avec la muflerie d’un chameau. L’hôtel est le repaire d’un renégat nazi Heinrich Stubel alias Comte Pfefferman (Sig Ruman) et sa clique de nervis mêlés au personnel.

Sans pour autant « vendre la mèche » d’une intrigue échevelée et forcément « tirée par les cheveux », l’histoire, proprement inénarrable, gravite autour de ce personnage d’imposteur « haut en colères ». Afin de s’approprier sans partage un butin de guerre caché dans l’entresol de l’hôtel, il mise sur ses complicités dans la place et son identité de façade qui tient à une simple moumoute, un toupet postiche masquant une balafre susceptible de le démasquer à tout moment. La pièce à conviction passe entre toutes les mains hormis les siennes ; ce qui finit de lui hérisser les poils qui lui restent encore sur la tête « ab irato ». « Le sommet du crâne est apparemment l’endroit où l’on a aucune chance de pouvoir faire pousser des cheveux » dixit Groucho Marx dans ses Lettres. Les frères Marx semblent vouloir rejouer un ersatz « décoiffant »de Panique à l’hôtel.

Lors d’une scène d’exposition conçue comme un morceau d’anthologie par Frank Tashlin non crédité au générique mais cartoonist spécialisé dans les scènes oniriques avant de devenir le réalisateur de comédies qu’on connaît, Rusty (Harpo), valet de pied et souffre-douleur du sadique « tortionnaire » Stubel, s’appuie au pilier d’une construction. Apostrophé par un policier : « Que penses-tu soutenir là ? » « La maison » de répondre Harpo hilare et comme un pierrot tombant des nues. Interpellé par l’homme, l’édifice s’effondre dans un syllogisme hyperbolique imparable.

Tout fait ici cliché qui prête le flanc à l’absurde des situations. L’arsenal des réparties fuse de toutes parts pareilles aux gerbes scintillantes retardant l’explosion du bouquet final d’un feu d’artifices qui n’en finirait pas de crépiter. Le public s’embrase alors à l’instar d’un volcan en éruption dont les coulées de lave seraient inextinguibles comme les flambées de rires.

 

« Le caleçon est au vaudeville ce que la toge est à la tragédie » (G. Courteline)

On a parfois tendance à oublier que les frères Marx ont fait leurs classes à l’école du vaudeville américain apparu en 1880. Son comique de situations engendra le music-hall et les revues de Broadway avant que le parlant ne vienne rebattre les cartes du spectacle de divertissement populaire.

Lorsque l’auteur dramatique George Kaufman et le producteur Irving Thalberg les lancent en 1929, les Marx brothers ont déjà rodé un appareillage scénique où ils jouent de leur interchangeabilité et d’une indéniable télépathie mentale dans l’enchaînement de leurs numéros. Face à un public braillard et indiscipliné, l’irrévérence est de mise si l’on veut tenir la distance.

L’effronterie acerbe de Groucho, homme-orchestre sourcilleux à la « gâchette verbale facile », fait feu de tout bois tout en faisant pendant à la pantomime extasiée de Harpo et aux frustes rodomontades d’immigrant italien de Chico.

Les Marx Brothers repoussent les barrières du langage par le mime, la pantomime, la diatribe ou les railleries. Le vaudeville, dont ils sont nourris découle d’un comique hybride qui mêle le burlesque, le slapstick, les coups de théâtre, les intrusions et les expulsions de personnages, les imbroglios et les quiproquos, les rebondissements et les intermèdes musicaux.

Quand la harpe et le piano tutoient les anges dans une féérie glamoureuse

Chico réussit ici le tour de force d’interpréter « scherzo » « Beer barrel polka » tout en dirigeant à la baguette un orchestre du cru dans un synchronisme de métronome ; déployant sa technique pianistique si particulière avec l’index dressé en pistolet.

Une nuit à Casablanca scelle les retrouvailles à l’écran d’une fratrie mythique. Si les protagonistes ont vieilli, le film n’a pas pris une ride et le charme oriental « made in Hollywood » opère comme la féerie glamoureuse d’un conte des mille et une nuits enchâssant des facéties de la plus haute fantaisie burlesque.

Harpo convoque l’onirisme. Tel Hermès jouant sa lyre sur un petit nuage, inspiré par le ruissellement du trésor qu’il a découvert par hasard, il enfourche sa harpe comme son dada pour en tirer les glissandis les plus empreints de ravissement tandis qu’une plume d’ange volète qu’il attrape avec sa galoche trouée de trimardeur.

 

 

Marx Bros versus Warner Bros : la guerre des trois n’aura pas lieu

Un mot sur la prétendue passe d’armes à stylos mouchetés entre Groucho Marx, porte-voix et porte-plume des Marx Brothers et les frères Warner qui n’eut sans doute jamais lieu sinon pour faire mousser la légende.

David L. Loew, le producteur du film, coutumier des campagnes publicitaires tapageuses aurait monté en épingle une fausse polémique pour assurer la promotion de son film .Connaissant le goût prononcé de Groucho et de ses frères pour les canulars il s’adjoint leur complicité.

Les frères Warner auraient menacé les frères Marx d’intenter une action judiciaire à leur encontre pour usurpation du titre « Casablanca » dont ils détenaient les droits d’exploitation. A quoi, Groucho aurait contre-attaqué dans ses lettres en les poursuivant pour usurpation du label « Warner Bros » ; arguant de l’antériorité des Marx Bros. Une rumeur davantage fondée et plausible aurait inféré le fait que le projet d’Une nuit à Casablanca devait permettre à Chico, flambeur invétéré, de renflouer ses dettes de jeux qui se chiffraient à 2 millions de dollars. Le crime ne paie pas contrairement au rire.

Casablanca ou le voleur de « bad gags » ?

Initialement destiné à pasticher le cultissime Casablanca (1941) de Michael Curtiz, Une nuit à Casablanca, qui connut d’autres avatars ,donne libre cours à l’exercice de style. La pochade brocarde et fustige avec force « Schweinhund » dans sa bouche l’ancien occupant nazi réduit à n’être plus qu’un pantin gesticulant et vociférant. Elle retient du film éponyme cet exotisme de carte postale et en restitue le climat conspirationnel.

D’aucun, qu’il soit bon ou méchant porte la chéchia de façon indifférenciée selon un mimétisme vestimentaire permettant de mieux le fondre dans l’anonymat de la couleur locale. La séquence ouvrant le film est éloquente à ce propos qui fait se croiser en tous sens des figurants affublés à l’orientale comme si la profusion iconographique attestait de l’authenticité topographique.

Par allusion au mot célèbre du chroniqueur Walter Wintchell, Groucho est le « voleur de « bad gags ». C’est d’une voix suave, gazouillante et doucereuse tout en roulant des yeux lubriques comme des boules de billard et haussant ses sourcils broussailleux qu’il susurre à Béatrice, la Marguerite Dumont de
substitution, paraphrasant l’invite aguicheuse de Lauren Bacall à Humphrey Bogart dans Le Port de l’angoisse de Howard Hawks : « Vous n’aurez pas besoin de chanter, il vous suffira de siffler pour que j’accourre ! »

Aux chameaux de blatérer et à Groucho de déblatérer ou quand la comparaison confond l’imagination

A son mâchonnement de cigare, le camélidé répond par une rumination incessante comme s’il mâchouillait une tablette de chewing-gum. La démarche à l’amble de Groucho tirant sur son cigare tout en allongeant ses pas et en rapetissant sa taille, fez sur la tête, moustache noire plaquée à grands traits de crayon gras de maquillage et costume blanc colonial complètent le tableau savoureusement pittoresque.

Dans les parodies marxiennes, les mêmes causes produisent les mêmes effets et tout est bon à reconditionner. Plus c’est énorme et mieux ça passe. La déflagration du rire efface toutes les élucubrations de ces trublions farceurs tout en raccordant les séquences entre elles sur leurs décombres dévastateurs. Il faut des dupes aux fripons. Le formalisme de façade des types humains se prête à un ravalement dont les frères Marx seraient les maîtres d’ oeuvres et les démolisseurs dans un vaste chantier canularesque.

Ce qui différencie les Marx Brothers des autres acteurs , c’est qu’on les identifie d’abord pour ce qu’ils sont:des icônes iconoclastes et non pour les personnages qu’ils incarnent qui sont leurs « doppelgänger », les doubles à l’écran de ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être à la scène.Toujours prompt à placer un bon mot pour donner le change, Groucho confiera, désabusé : « la seule raison qui me pousse à refaire un film en l’espace de cinq ans est que j’avais oublié à quel point il pouvait être dérisoire. » Fin de citation.

 

Distributeur : Les Acacias

Titre original : A Night in Casablanca

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Durée : 85 mn


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