Une histoire vraie (The Straight Story – David Lynch, 1999)

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Où une tondeuse à gazon n’empêche pas l’épopée.

 « Simple comme bonjour » affirme Jacques Morice dans Télérama. « Le réalisateur s’est laissé guider par son au lieu de le malmener », renchérit Planetcinema.com. A première vue, la qualité première de ce film de David Lynch serait de n’être pas un film de David Lynch. Drôle de compliment. Il est vrai que, sorti en salles après Lost Highway (1997) et avant Mulholland Drive (2001), Une histoire vraie frappe par sa narration linéaire et son intrigue limpide, qui s’explique par le fait que le scénario n’a pas été écrit par le réalisateur mais par sa femme, Mary Sweeney. Le titre original, The Straight story, est par ailleurs un clin d’oeil autant au sujet du film qu’à son traitement ; Straight fait bien sûr référence au nom de famille du personnage principal mais le mot signifie également « tout droit, direct, simple ».



Un road-movie au pas

Alvin Straight, 73 ans, vit dans la petite bourgade de Laurens avec sa fille, Rose. Le jour où il fait un malaise qui lui vaut une deuxième canne, il apprend que son frère aîné Lyle a fait une attaque. Fâché depuis plusieurs années avec son aîné, il décide tout de même de parcourir les centaines de kilomètres qui séparent Laurens, Iowa, de Mount Zion, Wisconsin, pour le rejoindre. Un voyage de quelques heures pour qui aurait son permis et une vue adéquate, ce qui n’est pas le cas du septuagénaire. Le road trip se fera dans ce qui se rapproche le plus pour Alvin d’une automobile : sa tondeuse à gazon. Inspiré d’Une histoire vraie (d’où le titre français), le film est un éloge de la lenteur qui ne se démarque qu’en apparence de la filmographie lynchienne.

Tout de suite après le ciel étoilé qui inaugure le film, une caméra aérienne survole, lentement, des champs puis, par fondus successifs, la ville de Laurens, sa rue principale, un de ses jardins pour finir sur la fenêtre d’une de ses maisons. Une histoire vraie fera des aller-retours, de l’immensité vers le détail – la grande route terminera en chemin de terre chez Lyle -, et de l’immuable au mouvant – entre les paysages et le voyage d’Alvin. La tranquillité de Laurens où les chiens déambulent dans des rues vides tandis que chaque habitant vaque à ses occupations tout aussi tranquilles rappelle d’autres petites villes : Lumberton (Blue Velvet) et évidemment Twin Peaks (avec qui le film partage Everett McGill au casting). A une exception près cependant. La chose maléfique qui rôdait ici et là, ne se cachent plus sous les pelouses bien tondues ou dans les bois mais directement dans le corps de chaque personnage. C’est le temps qui passe, inexorablement, et amène avec lui la vieillesse et la mort, sans remède possible.
 


Le temps est assassin

Ce que retient justement Lynch du road-movie, ce n’est pas tant l’espace parcouru ou à parcourir que le temps ; celui que prendra le voyage et celui qu’il fera remonter à la surface.Quand Alvin avance, à son rythme, sur cette route qui paraît ne pas connaître de fin, les plans sur sa tondeuse alterne avec les plans sur les différents paysages changeant au gré des mouvements des nuages comme si le réalisateur ne cesser d’opposer les temporalités. La lenteur d’Alvin et des nombreux vieux en salopette et chemises à carreaux, la vitesse des plus jeunes et des voitures qui doublent la tondeuse, et enfin la permanence du ciel qui ouvre et clôt le film. La ligne jaune qui défile à une vitesse de croisière pour le moins nonchalante donne à ressentir toute l’immensité des étendues américaines et par là, une nouvelle fois, le temps qu’il faut réellement pour les parcourir. Alvin impose littéralement son rythme et c’est celui-là même qui lui permet d’être visible. Le film lui accorde le temps qu’il lui faut. Quand son chapeau s’envole à cause du passage d’un camion, Alvin descend de sa tondeuse, prend ses cannes, fait le tour du véhicule, le récupère et se remet en selle. L’intensité des climax est proportionnelle à l’allure du voyageur ; le plus grand suspense réside dans les panneaux routiers. « Pente raide » ou « zone rapide » acquièrent une dimension qui n’a jamais été aussi menaçante.

Une histoire vraie prend au pied de la lettre l’expression anglais « to go down memory lane », c’est-à-dire « se souvenir », « regarder en arrière ». Mais qui en version originale introduit, avec le verbe « go », la notion de déplacement, de trajet. Alvin avance autant qu’il se souvient. Chaque arrêt et chaque personne rencontrée sont pour lui l’occasion de revenir sur un épisode de sa vie passée : la fâcherie avec son frère, la vie avec sa fille Rose, la mort de sa femme, et son expérience traumatique comme tireur d’élite pendant la seconde guerre mondiale. Toute une vie qui s’esquisse, jusqu’à une avant-dernière rencontre avec un pasteur dans un cimetière, au long d’un voyage qui se fait tant qu’il est encore temps quand le pire dans la vieillesse est de « se souvenir de sa jeunesse ».
 


Une Odyssée insolite

Ce road-movie iconoclaste est aussi un lieu propice pour les rencontres pour le moins cocasses. Cela commence à Laurens – ville qui à première vue serait interdite au moins de soixante ans. Parmi les vieux qui se rendent chez Alvin pour constater sa chute, l’un d’eux ne comprend pas que son ami – pourtant étalé au sol – a été victime d’un malaise. Comme un écho au vieux serveur du Great Northern Hotel qui ne vient absolument pas en aide à l’agent Cooper pourtant lui aussi cloué au sol, entre la vie et la mort. Plus tard, ce sera une involontaire serial killeuse de cerfs qui croisera la route du voyageur. Treize cervidés tués sur une route que ne borde pourtant aucun arbre. Pourquoi ? Nous n’en saurons pas plus, mais des cors décoreront désormais la remorque d’Alvin. Quand sa tondeuse connaîtra une avarie mécanique, elle sera réparée par une paire de jumeaux probablement apparentés aux Tweedle Dee et Tweedle Dum du pays des Merveilles.

L’étrangeté typique de l’univers de David Lynch est toujours présente, par touches légères, comme le sont les moments expressionnistes limités au reflet des éclairs sur le visage d’Alvin annonçant l’attaque de Lyle et à la série de zooms saccadés sur le témoin de l’accident de tondeuse (pas loin du travelling compensé des Dents de la mer). Un seul plan échappe à la continuité narrative, un plan qui se démarque parce qu’à première vue il ne raconte rien qui soit en lien avec l’histoire. Il apparaît à deux reprises, de deux façons différentes. La première fois, Rose regarde le jardin, par la fenêtre. Elle y voit un tuyau, un ballon qui roule puis un petit garçon qui vient le ramasser. La deuxième, le même plan resurgit quand Alvin raconte comment Rose a perdu la garde de ses enfants. Cette fois, le plan ne dépend d’aucun regard. Libéré de toute contrainte purement narrative, pause dans l’enchaînement des actions, il vaut comme émotion pure, comme image du temps.

Pour Lynch comme pour Alvin, le voyage est plus important que la destination. Portée par la musique d’Angelo Badalamenti, Une histoire vraie transforme le road-movie en véritable élégie.

Titre original : The Straight story

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Durée : 111 mn


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