Un jour un chat

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Psychédélisme tchèque

Chat à lunette

Pas facile de définir Un jour un chat, de Vojtěch Jasný, un des pères de la nouvelle vague tchèque, tant le film est barré. Cela tient, déjà, à son synopsis : dans une petite ville de la campagne tchécoslovaque, débarque une équipe de magiciens flanqués de leur chat magique à lunettes de soleil ; une fois ces lunettes ôtées, les yeux du chat révèlent la couleur primaire des individus : rouge, bleu, jaune ou gris. Autant de couleurs symbolisant le fond de l’âme de chacun. Quand le chat s’échappe, une chasse s’organise pour le retrouver et l’empêcher de nuire. La folie du film provient ensuite, qu’à cette histoire rocambolesque est généreusement associé pléiade d’effets, allant de l’adresse à la caméra par le narrateur (dont l’acteur dispose d’un double rôle au sein de l’intrigue : il est l’instituteur/narrateur et le chef de la troupe de magiciens) aux effets de colorations des individus (couverts de couleurs unies de la tête aux pieds) durant certaines séquences aux tendances psychédéliques. Ce faisant, la logique autour de laquelle s’articule le film est celle d’un dérèglement de l’ordre établi ; d’une perturbation de la réalité par le pouvoir magique dudit chat. Réalité à la métaphore évidente : celle d’une société de contrôle totalitaire et du rapport qu’elle entretient avec l’imaginaire individuel et ses potentialités libératrices. Annonciateur du Printemps de Prague, le film dispose d’un véritable charme et on se prend assez facilement à son jeu, la virtuosité des techniques employées étant encore aujourd’hui appréciable ; de même que la clarté du propos. Qui plus est, certaines des métaphores sont toujours d’une redoutable actualité. Notamment celles mettant en scène le panoptique de Jeremy Bentham. Ce dernier se trouvant représenté dès l’ouverture du film, avec le narrateur omniscient perché au sommet de la tour du village et n’ayant de cesse d’observer les habitants par le biais de ses lunettes grossissantes. Moment très hitchcockien évoquant fenêtre sur cour.

Humour grinçant

La bonne humeur ainsi que l’attitude bon enfant des membres du village se faisant ouvertement manier, manipuler et laissant leur libre arbitre de côté pour régulièrement former une foule compacte, confèrent au film une profonde dimension satirique. Humour grinçant si typiquement tchèque, rappelant les films de Milos Forman. La différence avec ce dernier étant que cet humour pince-sans-rire ne naît pas de situations réalistes auxquels sont pris de maladroits antihéros, mais se retrouve au travers de la caractérisation même de la majorité des personnages du film ; personnages ridicules et clownesques. Ainsi, là où l’aspect visuel du film se charge de dénoncer l’ordre établi, indubitablement, l’humour a pour rôle de régler son compte à une population docile acceptant sa domination. Un type de personnage échappant à cette vision piquante et sarcastique : les enfants. Leur éducation est le véritable enjeu sous-tendant le film et le creuset dans lequel le réalisateur place ses espoirs pour l’avenir du pays : les enfants prenant fait et cause pour le chat. D’ailleurs, l’importance de leur imaginaire, comme de leur éducation, est soulignée au cours de plusieurs séquences d’enseignement où l’instituteur maniera leur imagination pour les mener à dessiner le chat ; comme pour l’invoquer. De même, on pourra percevoir la manière dont cet instituteur s’adresse au public, comme une forme de cours qui lui est donné, par le biais de l’histoire contée. Autant de séquences conférant au film un puissant caractère moderne et autoréflexif. Autoréflexion qui ne manque pas de marquer une ambiguïté, tant la manière d’enseigner de l’instituteur, aux enfants comme au public, peut s’apparenter, elle aussi, à une forme de manipulation.

Liberté de ton

Le film est toutefois pourvu d’un défaut : un rythme pas toujours facile à suivre. Cela provient du foisonnement d’effets esthétique et de l’alternance entre des séquences à la plasticité pop, psychédélique, avec d’autres, plus classique, de déambulations dans la campagne tchécoslovaque ou dans la forêt alentour ; pouvant créer une forme de surdose et donner un caractère légèrement indigeste à certains moments. En résulte que l’on peut, parfois, sortir un peu du film. Mais cela s’oublie assez vite, et cette gratuité formaliste fait toucher de l’œil la recherche d’une liberté de création typique de cette décennie, de l’autre côté du rideau de fer. Le film dispose d’un très beau travail de ses cadres au format large ; utile à montrer le village dans son ensemble et les mouvements de foule docile qui le compose. La bande-son, disposant d’effets sonores expressifs, est aussi folle que l’image. Un jour un chat nous replonge dans l’ambiance utopiste de son époque, avant que les chars n’entrent dans Prague, alors qu’une jeunesse en plein essor s’émancipait et tentait de redonner un visage humain au socialisme. Se replonger dans le film de Vojtěch Jasný, c’est se replonger au cœur d’un moment vivant et plein d’espoirs. Le film passe vite et on aurait tort de se priver de le redécouvrir.

Titre original : Až přijde kocour

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Durée : 105 mn


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