Un frisson dans la nuit

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En attendant « American Sniper », le premier diamant noir de Clint Eastwood ressort en salles.

Ce qui fut vu à l’époque comme un petit caprice de star s’avéra en fait le point de départ d’une immense carrière de réalisateur. La mise en scène aura très tôt titillé Clint Eastwood qui déjà lorsqu’il tournait la série télévisée Rawhide (Charles Marquis Warren, 1959-1965) observait avec attention le travail des réalisateurs – et aura tenté, en vain, de diriger certains épisodes. En 1971, Eastwood, désormais superstar, s’entiche du script de Play Misty For Me signé Jo Heims et décide de franchir le pas. C’est un vrai risque pour l’acteur qui sort de l’échec de Les Proies (1971) de Don Siegel (qui apparaît ici dans un petit rôle de barman) où le public ne sembla pas accepter de le voir sous un jour plus vulnérable. Mais Eastwood, tombé au plus bas l’année précédente après la perte de son père, est alors bien décidé à donner ce nouvel élan à sa carrière. Il acceptera même de la part d’une Universal peu confiante de ne toucher que son seul cachet d’acteur. En dépit de cela, le film s’avère précurseur d’un certain type de thriller reposant sur l’obsession et le harcèlement au féminin avec des œuvres comme Liaison fatale (1987) de Adrian Lyne ou encore Misery (1990) de Rob Reiner. Le thème est assez inédit à l’époque et le ton employé par Eastwood pour le traiter tout autant. Loin d’instaurer un rythme effréné et une tension palpable, Eastwood opte pour un rythme nonchalant s’inscrivant dans une certaine forme de réalisme. Le film est en effet une vraie photographie de la Californie des années 1970, cette Californie où régnaient atmosphères hippie et hédoniste.

 

C’est par cette toile de fond que Eastwood amène d’abord visuellement (splendide ouverture avec ce plan aérien arrivant sur Eastwood surplombant la mer puis le long générique où il défile en voiture dans un paysage radieux) puis scénaristiquement lorsque notre héros Dave Garver drague innocemment la séduisante Evelyn Draper (Jessica Walter). Le fait de découvrir qu’elle a mis en scène leur rencontre et qu’elle est l’une de ses admiratrices secrètes (il est disc jockey) ne fait qu’apporter un peu plus de piquant à la situation. Sauf que passé ce qui ne devait être qu’un moment agréable, Evelyn va faire une dangereuse obsession sur Dave, devenant de plus en plus envahissante et cédant peu à peu à la folie meurtrière. Cela est amené graduellement par Eastwood la rendant vaguement trop insistante tout en laissant poindre la folie encore contenue au détour de quelques échanges, la simple focalisation amoureuse cédant à des instincts plus inquiétants. Ce choix d’atmosphère feutrée prend tout son sens dans cette approche, la première manifestation de violence étant un véritable choc lorsque Evelyn agressera une malheureuse armée d’un couteau. La bascule se fait aussi dans la mise en scène où la réalisation jusque-là sobre et contemplative se fait soudain anarchique avec une caméra aux mouvements incertains dans un déluge de chairs lacérées où le giallo n’est pas loin.

 

Visuellement, on constate déjà toutes les aptitudes de Eastwood qui oscille entre réalisme et imagerie californienne idéalisée, que ce soient dans les scènes quasi documentaires où il laisse parler son amour du jazz avec le festival de Monterrey ou encore dans la longue scène romantique sur fond de Roberta Flack où Dave file le parfait amour avec Tobie – la belle Donna Mills future héroïne de Côte Ouest (David Jacobs, 1979-1993) ! – dans le plus pur style évanescent et hippie. Pas forcément très utiles à l’intrigue et entraînant quelques longueurs, ces scènes captivent néanmoins par ce brio formel et une nouvel fois le contrecoup sera d’une efficacité redoutable avec un final des plus glaçants. Eastwood tout en sobriété et en fragilité (même touchant lorsqu’il cherche à reconquérir le cœur de Donna Mills) est formidable, le réalisateur sachant parfaitement mettre l’acteur en valeur (ce fondu enchaîné jour/nuit sur son regard tandis que Evelyn le tient prisonnier dans ses bras). Jessica Walter est elle extraordinaire dans un registre outrancier, le visage paisible pouvant se tordre d’un rictus de passion violente la minute suivante. Annonçant ses futures très bonnes habitudes de tournage, Eastwood terminera le film avec deux jours d’avance et le bon accueil critique et le relatif succès (le film rapportera 5 millions de dollars pour un budget initial de 725 000 dollars) lui permettra de prolonger cette nouvelle aventure de réalisateur pour le destin que l’on connaît. Dans la foulée, il réalisera, sur un script de Jo Heims à nouveau, le superbe Breezy (1973), qui forme une sorte de diptyque californien avec ce Play Misty For Me, chacun représentant les revers d’une même pièce formant le côté lumineux et inquiétant de ces mêmes atmosphères.

Titre original : Play Misty For Me

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Durée : 102 mn


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