C’est par cette toile de fond que Eastwood amène d’abord visuellement (splendide ouverture avec ce plan aérien arrivant sur Eastwood surplombant la mer puis le long générique où il défile en voiture dans un paysage radieux) puis scénaristiquement lorsque notre héros Dave Garver drague innocemment la séduisante Evelyn Draper (Jessica Walter). Le fait de découvrir qu’elle a mis en scène leur rencontre et qu’elle est l’une de ses admiratrices secrètes (il est disc jockey) ne fait qu’apporter un peu plus de piquant à la situation. Sauf que passé ce qui ne devait être qu’un moment agréable, Evelyn va faire une dangereuse obsession sur Dave, devenant de plus en plus envahissante et cédant peu à peu à la folie meurtrière. Cela est amené graduellement par Eastwood la rendant vaguement trop insistante tout en laissant poindre la folie encore contenue au détour de quelques échanges, la simple focalisation amoureuse cédant à des instincts plus inquiétants. Ce choix d’atmosphère feutrée prend tout son sens dans cette approche, la première manifestation de violence étant un véritable choc lorsque Evelyn agressera une malheureuse armée d’un couteau. La bascule se fait aussi dans la mise en scène où la réalisation jusque-là sobre et contemplative se fait soudain anarchique avec une caméra aux mouvements incertains dans un déluge de chairs lacérées où le giallo n’est pas loin.
Visuellement, on constate déjà toutes les aptitudes de Eastwood qui oscille entre réalisme et imagerie californienne idéalisée, que ce soient dans les scènes quasi documentaires où il laisse parler son amour du jazz avec le festival de Monterrey ou encore dans la longue scène romantique sur fond de Roberta Flack où Dave file le parfait amour avec Tobie – la belle Donna Mills future héroïne de Côte Ouest (David Jacobs, 1979-1993) ! – dans le plus pur style évanescent et hippie. Pas forcément très utiles à l’intrigue et entraînant quelques longueurs, ces scènes captivent néanmoins par ce brio formel et une nouvel fois le contrecoup sera d’une efficacité redoutable avec un final des plus glaçants. Eastwood tout en sobriété et en fragilité (même touchant lorsqu’il cherche à reconquérir le cœur de Donna Mills) est formidable, le réalisateur sachant parfaitement mettre l’acteur en valeur (ce fondu enchaîné jour/nuit sur son regard tandis que Evelyn le tient prisonnier dans ses bras). Jessica Walter est elle extraordinaire dans un registre outrancier, le visage paisible pouvant se tordre d’un rictus de passion violente la minute suivante. Annonçant ses futures très bonnes habitudes de tournage, Eastwood terminera le film avec deux jours d’avance et le bon accueil critique et le relatif succès (le film rapportera 5 millions de dollars pour un budget initial de 725 000 dollars) lui permettra de prolonger cette nouvelle aventure de réalisateur pour le destin que l’on connaît. Dans la foulée, il réalisera, sur un script de Jo Heims à nouveau, le superbe Breezy (1973), qui forme une sorte de diptyque californien avec ce Play Misty For Me, chacun représentant les revers d’une même pièce formant le côté lumineux et inquiétant de ces mêmes atmosphères.