Un automne en muet… ou presque !

Article écrit par

Valentino, Swanson, Stanwyck, LeRoy, Pickford, Lubitsch… et Griffith en bonus, les stars du muet s´invitent en dvd cet automne. L´occasion de découvrir des films rares et de réviser nos classiques.

Passés les quelques chefs-d’œuvre et grands noms du cinéma, les éditions en dvd de films de la période muette ne font pas légion. L’arrivée de six films dans les bacs cet automne fait l’effet d’une véritable avalanche ! Entre l’un des premiers chefs-d’œuvre de Lubitsch et des films plus rares avec les stars de l’époque, c’est un joli panel du cinéma américain des années 1920 qui s’offre à nous et une belle occasion de voir le cinéma muet s’emparer peu à peu du son.

Stars du muet d’Hollywood, Les Films du Paradoxe

Les Films du Paradoxe éditent cinq films rares, certains étaient jusqu’à récemment perdus, restaurés par Milestone. Acteurs ou réalisateurs, chacun des films offre une star en tête d’affiche. Du pleinement muet au tout parlant, c’est un beau résumé du Hollywood des années 1920.
Beyond the rocks (Le Droit d’aimer) est un des sommets de la production de l’époque. A l’âge où l’acteur ne souffre pas la présence d’une autre star à l’affiche, le film met en scène pour la première fois deux vedettes, le séducteur Rudolph Valentino et l’actrice fétiche de Cecil B. DeMille, Gloria Swanson. Sam Wood (qui a réalisé plusieurs films des Marx Brothers et qui est avec George Cukor réalisateur non crédité d’Autant en emporte le vent de Victor Fleming) signe en 1922 un classique de la production hollywoodienne : les amours contrariées de deux jeunes amants entre romance et aventures. Longtemps considéré comme disparu, le film se résumait à la seule minute qu’on en avait conservée. Retrouvé en 2003 dans les archives du Filmmuseum d’Amsterdam et restauré, malgré une copie d’un état moyen, on est époustouflé par la variété et le luxe des décors. Dans une vraie fascination pour l’exotisme, le film passe ainsi d’un paysage maritime à Paris et Versailles, de la balade dans les montages à l’excursion dans le désert, Valentino étant toujours dans les parages pour venir à la recousse de la belle qu’il n’a pas le droit d’aimer. Bien au-delà du seul spectacle lucratif, le film est porté par le superbe jeu de Valentino et Swanson et l’œil bienveillant de Sam Wood qui insufflent à une histoire parfois attendue ce qu’il faut de tragique, de suspense et de finesse. Immanquable !
 
Bonus : la présentation amoureuse et enthousiaste du film par Martin Scorsese et surtout Delicious Little Devil, moyen métrage de Robert Z. Leonard de 1919 avec Rudolph Valentino.

Peut-être la plus grande star de l’époque, productrice de ses films et fondatrice avec Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks et David W.Griffith de la société de production et de distribution United Artists, Mary Pickford, la première « petite fiancée de l’Amérique », s’offre en 1926 le rôle titre de Sparrows de William Beaudine, tiré de faits réels. A mi-chemin entre Les Misérables et Oliver Twist, elle y incarne Maman Molly, l’aînée d’une dizaine de pensionnaires exploitée par une famille de Thénardier d’une ferme entourée de marais. Beaudine relève le drame misérabiliste de gags tarte à la crème (ou à la boue plutôt) et de scènes franchement comiques avant que le film ne bascule dans le thriller quasi gothique qui fait des appels du pied à l’expressionnisme allemand. Pickford y trouve l’un de ses plus grands rôles en mère courage dans un film à l’imagerie visionnaire, passant de la description naturaliste au symbolisme, certes religieusement appuyé, mais néanmoins splendide. La traversée des marécages et sables mouvants, entre arbres effrayants et crocodiles affamés, marquera durablement l’esprit des réalisateurs, Charles Laughton notamment qui y trouvera l’inspiration de La Nuit du chasseur.
 
Bonus : outre une présentation pas inintéressante du film à destination du jeune public, façon C’est pas sorcier américain, il faut surtout voir Ramona, un court métrage de David W. Griffith de 1910 mettant en scène l’histoire américaine sur fond de conflits amoureux entre Hispaniques et Indiens.

 

Plus anecdotique, Evangeline de Edwin Carewe met en scène en 1929 une romance nationaliste d’après un poème romantique d’Henry Wadsworth Longfellow. Lacrymal et sans finesse, on y voit Dolores Del Rio (connue pour ses rôles muets chez Raoul Walsh ou dans certains John Ford, Les Cheyennes notamment) chercher inlassablement son mari dont elle a été séparée durant la destruction de leur village par les fourbes Anglais. L’unique intérêt du film réside dans sa bande sonore. 1929 : on s’approche peu à peu du parlant. Dans la lignée des bandes sonores des films de Léonce Perret en France ou de Don Juan (1926) et Le Chanteur de Jazz (1927) de la Warner, Evangeline fait la part belle à la musique. Outre les standards de la musique classique, il s’agit dès que possible de faire chanter les personnages : du chant populaire entonné par tout un village lors du mariage/fête à la bière des héros ou de la chanson d’amour qu’Evangeline entonne dès que l’occasion se présente.
 

Comme de nombreux films à l’époque, The Locked Door de George Fitzmaurice (1929) est tourné en muet et sonorisé en studio. Il s’agit de la deuxième apparition au cinéma de Barbara Stanwyck (Assurance sur la mort, Billy Wilder, Le Démon s’éveille la nuit, Fritz Lang). Adapté d’une pièce de théâtre bourgeois, The Locked Door met en scène une histoire assez classique de mari, de femme et de passé gênant entre quiproquos et réputation perdue qui ne peut s’achever que par le drame. Le film est dans un entre-deux : les nécessités du muet s’articulent difficilement avec l’arrivée du parlant. Il conserve la surexpressivité du jeu des acteurs du muet et l’insistance constante sur les gestes qui s’avèrent souvent redondants avec la parole et les dialogues. Il dénote à quel point l’arrivée du son a pu être un frein pour les cinéastes. La parole dans la bouche des personnages devient une facilité et supplée par la suite la recherche de la compréhension par l’image, et donc aussi une certaine inventivité de la mise en scène. Ce qui était au départ une impossibilité technique pour le cinéma, s’est en fait avéré un formidable enjeu pour les réalisateurs : être immédiatement compréhensible par la seule mise en scène. Au-delà du seul témoignage rare et symbolique d’un cinéma en pleine transition, les quelques défauts de The Locked Door font aussi son charme. Le film est émouvant tant par son histoire et les qualités de ses acteurs, que par son rapport à l’histoire du cinéma.
 
Pleinement parlant, Tonight or never (1931) porte encore en lui les stigmates du muet et une fascination encore vivace pour les possibilités du son au cinéma. Mervyn LeRoy (Les Quatre Filles du docteur March, Quo Vadis) signe ici une comédie classique de Hollywood aux décors luxueux (dont quelques plans magnifiques sur Venise), défilés de costumes (signés Chanel), dialogues ciselés à double sens et brillant revirement final. Gloria Swanson y incarne une cantatrice à la technique parfaite, mais aux capacités émotives d’un couloir d’hôpital. Sur les conseils de son maître de musique, elle cherche à aimer afin de pouvoir chanter. Le choix de l’opéra est classique du début des années 1930. Il permet d’explorer les possibilités et le plaisir du son à l’image : entre ouverture chantée, passage à la radio, bruits de couloir, Gloria Swanson passe aussi beaucoup de temps à ouvrir et fermer portes et fenêtres selon son envie de profiter de la musique de rue. Au-delà du seul plaisir à voir un réalisateur s’émerveiller de la technique, Tonight or never est aussi une belle et sincère histoire d’amour. De sa recherche très intéressée à la découverte de la passion, Gloria Swanson y fait des merveilles avec son personnage buté, capricieux, emporté (« Personne ne me fait l’amour au clair de lune, dans les fleurs ! »), mais terriblement humain et attachant, qui finira par succomber au charme du baiser final.

 

L’Eventail de Lady Windermere, Ernst Lubitsch, Editions Montparnasse

De la comédie d’Oscar Wilde, Lubitsch fait de L’Eventail de Lady Windermere un film profondément émouvant. Au cœur de grande société bourgeoise, la jeune Lady Windermere redoute que son mari n’entretienne une relation avec une autre femme. Entre confiance absolue en son époux et doutes insufflés par un jeune et séduisant ami qui la convoite, le monde et les certitudes de Lady Windermere menacent de s’effondrer. Quiproquos et fausses vérités s’exacerbent au sein d’immenses décors et belles fourrures sur fond de commérages et d’hypocrisie générale. Lubitsch ne cherche pas à retranscrire l’extrême vivacité et précision des dialogues de Wilde. L’Eventail de Lady Windermere comporte très peu d’intertitres. Tout se comprend par la mise en scène et le jeu des acteurs : leur place dans le cadre, le jeu des regards, quelques gros plans sur des gestes suffisent à décrire une situation et des sentiments complexes. Lubitsch est un maître de la suggestion. Dans ses films, l’image fait souvent sens de façon bien plus forte que la parole. Là où l’humanité chez Wilde s’incarnait dans les mots, Lubitsch l’amène dans chaque image, à chaque plan. Dans ce drame, chacun des personnages perdra une certaine légèreté, mais comme toujours chez Lubitsch, c’est une sorte de prix à payer pour que se révèle et éclate la sincérité des sentiments. D’archétypaux, les personnages redeviennent humains, moins candides peut-être, mais plus tendres et généreux. Ils s’aiment et nous les aimons en retour. Avec en prime un portrait de femme d’une grande modernité et un happy end décapant.
 

Bonus : deux documentaires. Dans Oscar Wilde, de la scène à l’écran (7 min), la comédienne Geneviève Casile évoquent les différences nombreuses entre la pièce et le film. Lubitsch, le patron (52 min) est une assez belle introduction pour qui ne connaît pas le réalisateur. Ce portrait qui fait la part belle aux extraits revient sur la filmographie du maître et sur sa manière de travailler, commentée par des historiens du cinéma et des réalisateurs (Benoît Jacquot notamment).

  



Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi