Un amour de jeunesse

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Troisième long métrage d’une cinéaste surdouée mais première déception. Restent une personnalité, un regard, incontestables.

La déception face au troisième long métrage de Mia Hansen-Løve est bien sûr proportionnelle à notre attente du successeur de son magnifique deuxième film, Le Père de mes enfants, sorti il y a un peu plus d’un an et demi. Sans doute trop centrée cette fois sur son seul personnage de jeune fille apprenant à survivre après une perte (cette fois du premier amour, qui la quitte, là où les deux premiers films observaient dans leur dernière partie l’accomplissement d’un destin à la suite de la disparition du père), la cinéaste – au talent toujours incontestable – prend très tôt le risque de priver l’ensemble du film d’une extériorité bénéfique. Dans un cinéma où les questions de l’« après », du passage du temps, des ellipses nécessaires à marquer ce passage étaient jusqu’ici les vrais marqueurs de l’expérience de vie – précisément du temps de la survie –, une trop grande prudence dans le suivi d’un simple « devenir femme » peut s’avérer alors un choix quelque peu déceptif.

Camille (Lola Créton, très juste) est au départ du film une lycéenne d’à peine seize ans, vivant pleinement son amour avec Sullivan (l’acteur allemand Sebastien Urzendowsky, découvert dans Ping-pong de Mathias Luthardt). Løve saisit cette tranche de vie avec une candeur aussi séduisante que déroutante, certaines répliques ouvertement très « écrites » laissant plus d’une fois soupçonner une possible distance avec cette plénitude, une éventuelle mesure par rapport à ce romantisme. La suite semblera pourtant attester le premier degré de cette première partie, Camille voyant cette parenthèse enchantée prendre brutalement fin, suite à la lecture d’une lettre de Sullivan, qui a décidé de partir vivre un an en Amérique du Sud, mais surtout de mettre fin à leur passion trop exclusive. S’ensuivent toutes les manifestations plus ou moins logiques du chagrin d’amour adolescent – pas seulement –, telles que les larmes, la dépression, la tentative de suicide…

Un garçon, une fille, un âge

Nul désir ici de rire du choix de Mia Hansen-Løve de suivre point par point le fil blanc d’une histoire au titre si parlant. Ne serait-ce que parce que depuis le premier film, elle a su se distinguer du tout venant de la jeune vague française par la grande transparence de ses choix, aussi bien de sujets (franchise quant à la raison d’être du Père de mes enfants) que d’acteurs. Après quelques années d’activité critique au sein des Cahiers du cinéma, le passage à la réalisation sembla très vite être la suite logique de ce qui pour elle fut avant tout, selon ses dires, une « formation » du regard. Écrire sur les films qu’elle a aimés avant donc de s’atteler à l’écriture puis la réalisation de films à la fois conformes à ce goût désormais consolidé, et directement liés à sa trajectoire personnelle, de jeune femme, d’ex-comédienne (dans Fin août, début septembre et Les Destinées sentimentales d’Olivier Assayas, à la fin des années 90, lorsqu’elle avait elle-même entre seize et dix-huit ans), peut-être de critique, surtout de cinéaste.

Le vrai point problématique de ce troisième long métrage repose dans la difficulté, cette fois, à mesurer la dimension universelle de ce traumatisme de jeunesse. Que Camille souffre du départ puis de la rupture imposée par Sullivan, mais parvienne par la suite à avancer, rencontrer un autre homme (accessoirement plus mûr), se découvrir une vocation pour l’architecture, accepter le divorce de ses parents sont certes des éléments d’importance, dans un récit couvrant huit ans de la vie d’une jeune fille (de 1999, années lycée, à 2007, année de l’accomplissement). Reste que cette fois, quelque chose dans cette leçon de vie, cette résistance aux aléas du temps et diverses choses de la vie peine à s’incarner. Pour la première fois, même le plus grand admirateur du sens de la suggestion et de l’esquive du pathos ayant donné aux précédents films leur tonalité si particulière peut être confronté à la difficulté de voir en cette histoire davantage que ce qu’elle dit. Un amour de jeunesse, que la cinéaste présente comme une forme de film originel, son plus directement autobiographique, est comme prisonnier de sa ligne trop claire, le cheminement intérieur de son personnage n’ayant au final rien de particulièrement saisissant.

A mood
 

Quelque chose, pourtant, empêche de conclure à un ratage. Un bouleversement assez fort dans ce fleuve narratif un peu trop tranquille : les retrouvailles de Camille et Sullivan, huit ans après, dans les rues de Paris. Après que la jeune femme eut reconnu dans le bus la mère de son beau prince, distinguant son visage familier dans le bain des passagers (soit une situation très terre-à-terre, tout sauf poétique), elle lui demande des nouvelles de son fils, parvient à obtenir ses coordonnées. Se revoyant, les deux ex ne semblent sur le moment pas tellement émus, ni désireux de renouer avec le passé, faisant plutôt état de leur situation sociale, professionnelle, sentimentale après toutes ces années. La grâce naît alors de la capacité de Mia Hansen-Løve à détacher de la fiction pure, une vraie épaisseur romanesque d’un fond très réaliste et urbain. Retenant sans doute les leçons de quelques modèles de la génération précédente tels qu’Arnaud Desplechin ou bien sûr Assayas, elle s’avère plus que jamais héritière d’un cinéma à vocation communément littéraire (dialogues toujours très clairs, linéarité sans faille du récit, dessin très soigné et – trop ? – délicat des caractères…) et documentaire (regard sur une certaine middle class parisienne, sa jeunesse, sa culture, ses lieux de rencontre…).

Ayant su se construire une vie après cette rupture douloureuse, la question pour Camille (et accessoirement Sullivan) sera maintenant d’envisager de récupérer ou non cet amour de jeunesse, se laisser ou non aller à nouveau aux élans innocents des premiers émois. Cette perspective de remake et toutes les problématiques ultra concrètes qui l’accompagnent (trouver du temps pour se voir, entre les activités et engagements divers de chacun, mesurer les répercussions de cette possible renaissance de l’amour sur le couple que forment depuis maintenant plusieurs années Camille et Lorenz, son ex professeur d’architecture, informer Maman, qui a vu dans quel état nous avait laissé la rupture, du retour de Sullivan…) sont assurément le meilleur du film, sa part la plus incarnée. A la trop grande propreté d’une première heure où peinait à se faire sentir un enjeu véritable, succède alors, sinon l’impureté, au moins l’urgence froide d’une confrontation franche avec le couple fusionnel que l’on a été. Alors, enfin, Camille devient un passionnant personnage de cinéma, une figure moins passive, plus héroïque devant le risque du sacrifice d’une harmonie durement acquise.

La Femme, l’Extérieur

On ne dira rien de l’aboutissement de ces retrouvailles, mais tout juste peut-on conclure sur l’indice que donne cette deuxième partie de l’importance, dans ce cinéma, du chapitrage, même indirect. La division du récit en deux ou trois actes donnant à mesurer, sur les presque deux heures de chaque film, une confiance rare dans la chronologie, un regard avant tout soucieux de l’équilibre d’une grande histoire de cinéma, par delà ses changements réguliers d’humeur et de configuration. Déceptif, mettant peut-être trop de temps à laisser entrevoir un axe de lecture prioritaire, ce troisième long métrage confirme à la fois une vraie maturité de style et une limite : celle inhérente à une parfois trop grande application dans l’édification d’une œuvre encore en devenir ; dont les ficelles, à force de coutures, se font peu à peu trop visibles. Gageons que Mia Hansen-Løve saura, pour son prochain film, s’éloigner enfin d’elle-même, rendre sa mise en scène, déjà si affirmée, un peu plus aventureuse.

Titre original : Un amour de jeunesse

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Durée : 110 mn


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