Truands

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Film de gangsters proposant une approche réaliste et exclusive du milieu du grand banditisme, Truands navigue continuellement entre deux partis pris de mise en scène qui rendent caduc ce maelström de violence crue pourtant fort bien réalisé et interprété.

Film de gangsters proposant une approche réaliste et exclusive du milieu du grand banditisme, Truands navigue continuellement entre deux partis pris de mise en scène qui rendent caduc ce maelström de violence crue pourtant fort bien réalisé et interprété.

La spécificité d’un art comme le cinéma, doté d’une grammaire complexe, multiforme et évolutive, est de proposer dans une construction qui reste avant tout fictionnelle, un possible réalisme de microcosme parfaitement cohérent. Dans ce sens, Truands fait partie de ces expériences cinématographiques décalées, paradoxales, pleinement assumées, mais toujours sur la corde raide dans son accomplissement artistique.

Film clinique dépeignant le milieu du grand banditisme parisien, ce troisième long métrage terriblement osé de Schoendoerffer transpire dans la froideur d’une mise en scène à la fois directe et crue, la volonté d’un cinéaste de décodifier un genre anobli depuis plus de cinquante ans. Tâche ardue, voire ingrate, le réalisateur rend anti-cinématographique les protagonistes en désacralisant la posture mythologique du truand. Fini les anti-héros de Melville et l’archétype stylisé du voyou de John Woo. Ceux-ci deviennent fourbes, menteurs, avides de pouvoir, sans code d’honneur, rongés par un milieu en marge de l’état de droit, et représentent alors la figure du mal dans une société qui fabrique malgré elle de la violence aveugle. Peinture sans concession des travers humains, ces truands deviennent de la chair à « foutre » et à « flingue » noyés dans l’obsession glaciale d’une ivresse dominée par l’argent. Schoendoerffer analyse cette posture de l’illégalité en refusant d’inscrire son film autour d’une histoire romancée. Voulant faire de son film un « Microcosmos chez les voyous », il n’arrive pourtant pas à se départir des canons d’une grammaire scénaristique qui demande l’utilisation de ressorts dramatiques et recentre ainsi son histoire sur la guerre des clans et la trahison du fils spirituel. Cette dissociation de traitement narratif conduit le film vers une mise en scène imbriquant fiction et docu-fiction, ce qui discrédite l’approche radiographique du réalisateur.

Contrairement aux cinéastes comme Ferrara, Kollek ou Haneke, dont la crudité de certaines scènes frappent durablement les esprits (voir la scène du film Bridget où la copine de l’héroïne est tuée d’une balle dans la tête), Schoendoerffer attire Truands vers une théâtralisation Shakespearienne (parfois à la limite du grand guignol) qui codifie à l’extrême la personnification des protagonistes. Si les femmes ne sont que des postures (réalisme d’un milieu misogyne), on est en droit d’être déçu par le développement du rôle qu’interprète Béatrice Dalle. Celui-ci rend compte du faible investissement psychologique, sociologique et sociétal d’un cinéaste qui préfère montrer (même si l’ensemble est techniquement parfait) la violence brute et la pauvreté sentimentale d’un tel milieu. S’il n’y a aucune justification dans cette violence (en ce sens Truands ressemble étrangement au Black Hawk Down de Ridley Scott dans la représentation « hyper réaliste » des conflits armés en zones urbaines), la mise en scène lorgne assez bizarrement vers un Michael Mann, ce qui a pour effet de désolidariser la forme du propos d’un monde « crade » et individualiste où toute idée de fascination est bannie. L’effet d’esthétisation du cadre, magnifiant involontairement les personnages, estompe cette haine implacable, silencieuse et organique.

Démarche ambitieuse ponctuée par de vrais moments de cinéma (ce qui est de plus en plus rare), Truands s’inscrit sur la liste des films proposant la mise en perspective d’un genre qui doit évoluer avec son temps. Reconnaissance d’une volonté et d’un désir d’offrir un spectacle cohérent et savamment détaillé, l’écriture ne permet pas cette plongée mortifère où l’amoralité semble dominer les rapports humains. Si le film nous assène avec force et réalisme la pourriture d’un milieu qui rend impossible toute identification, le cinéaste ne développe que très partiellement les mécanismes et les milieux satellitaires qui cohabitent et organisent ce grand banditisme. En effet, le glauque des boîtes de nuit, les scènes de tortures, le machisme, la misogynie ambiante et les règlements de compte à coups de vendetta urbaine sont trop intellectuels dans l’écriture et trop caricaturaux dans l’exercice de représentation pour en faire un film à la prétention documentaire.

Naviguant en mer agitée, Truands mérite amplement d’être vu, mais reste trop approximatif dans son traitement scénaristique pour nous offrir une vision précise, chirurgicale et sans concession des mœurs et des pratiques du grand banditisme.

Titre original : Truands

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Durée : 107 mn


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