Trois soeurs

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À la fois lumineuse et confinée, cette chronique de fin d´adolescence n’apparaît pas assez aboutie pour totalement séduire.

Dissipons tout de suite un malentendu : Trois sœurs n’a rien d’une adaptation de Tchekhov. Le titre original, Abrir Puertas y Ventanas (littéralement : ouvrir les portes et les fenêtres), révèle mieux la singularité du film. Ce premier long-métrage d’une jeune réalisatrice argentino-suisse se déroule en effet presque exclusivement dans l’enceinte d’un pavillon de Buenos Aires. Pour les trois sœurs qui l’habitent – Marina, Sofia et Violeta, toutes âgées d’une vingtaine d’années – l’enjeu est en quelque sorte de parvenir à y respirer, à y vivre harmonieusement leur fin d’adolescence, voire à le quitter. En somme, à entrer dans l’âge adulte.

Le récit débute par la visite d’un jeune homme à Marina. Celle-ci ne veut pas le recevoir et demande à une de ses sœurs de prétendre qu’elle est absente. Mais avant de partir, le garçon aperçoit Marina dans le reflet d’une vitre. Le début du film est fait de tels moments, allusifs et poignants, où les personnages jouent à cache-cache les uns avec les autres, s’enferment dans les non-dits. Le film aussi, tant il s’en tient à la stricte littéralité du présent, refuse les flashbacks et contextualisations explicites, multiplie les ellipses. Approche épurée en vertu de laquelle il suffit à la réalisatrice d’un seul plan panoramique pour nous présenter les trois sœurs, qui s’avéreront tour à tour complices et jalouses, mesquines et attentionnées.
La mise en scène tranquille et lumineuse restitue à merveille une certaine langueur adolescente. L’été pénètre par les fenêtres. L’air circule. Mais peu à peu, cette douce monotonie, toute sensuelle qu’elle soit, vire à l’ennui. Pour les trois jeunes femmes mais aussi pour le spectateur. Le confinement pèse, le ciel s’assombrit. C’est alors, à mi-chemin, que le récit prend un virage dramatique avec la disparition d’une des sœurs.

 

Il faut sans doute envisager cette disparition à l’aune de celle, antérieure, qui étend son ombre sur le film. La grand-mère qui a élevé les trois soeurs est morte récemment, les laissant seules dans la grande maison. Le spectateur n’apprend pas tout de suite cet évènement. Pourtant, d’emblée, dans la blancheur des premières scènes, une sensation d’absence est palpable. Peut-être cette impression tient-elle à certains flottements de la caméra, qui parfois se détache de l’impératif classique de coller aux mouvements et aux regards des personnages pour prendre un envol autonome, presque fantomatique.
De fait, cette chronique de trois fins d’adolescence dégage aussi des relents de fantastique – un fantastique discret, presque quotidien, qui joue sur la présence implicite du passé et la mise en scène du pavillon comme un personnage à part entière. Si bien que, parfois, le lieu paraît hanté. La grand-mère apparaît ainsi en pleine nuit à Marina, à l’occasion d’un saisissant champ contrechamp. Cette hallucination a beau être fugitive, elle contribue à distiller une noire mélancolie, qui contraste étrangement avec la jeunesse et la sensualité irradiant la plupart des plans.

Ainsi, par sa manière mystérieuse de jouer à la fois sur les présences visibles et invisibles, ce long-métrage aux résonances autobiographiques explore une voie stimulante. Dommage que l’auteur n’aille pas plus loin dans cette direction, la faute peut-être à une certaine frilosité, qui contribue à expliquer un manque d’intensité dramatique et émotionnelle. Dès lors, à défaut d’atteindre une résonance universelle, le film se réduit à une réminiscence avant tout personnelle, parfois touchante, frustrante de laisser à ce point les personnages et leurs histoires en suspens.
 

Titre original : Abrir Puertas y Ventanas

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Durée : 98 mn


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