Trois films du cinéaste Guy Gilles

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« Je suis formaliste, mais la forme est l´expression de la sensibilité », Guy Gilles.

Coffret Guy Gilles aux Editions Montparnasse. Sortie le 6 mai 2008

Il est des jours où l’on découvre… Découvrir les films de Guy Gilles, restés mystérieusement inconnus, procure les mêmes sensations que la première (ou la dernière) vision d’un Godard, d’un Truffaut ou d’un Resnais desquels Guy Gilles était contemporain : sensations poétiques, littéraires, photographiques, cinématographiques. L’interrogation reste alors sans réelle réponse: « pourquoi, demande son frère, le public a-t-il boudé tes films » ? Macha Méril dira «trop en avance », Claude de Givray, « pas assez arriviste », ou encore Georges Beaume évoquera le refus de compromission du cinéaste. Pourtant, ces raisons ne semblent pas suffire à expliquer le désintérêt que les films de Guy Gilles ont suscité à leur sortie, quand toutefois, ils étaient distribués.

Retour donc sur trois longs métrages de Guy Gilles, ponctués de deux documentaires consacrés à son œuvre et à sa personnalité, présentés dans ce coffret rare et délicat.

« Je suis formaliste, mais la forme est l’expression de la sensibilité » Guy Gilles

L’amour à la mer se présente en premier. Un jeune homme et une jeune femme, deux visages inconnus, amoureux, illuminent la première partie du film. Ils se séparent de corps, lui part pour Brest, elle, reste à Paris. Ils s’écrivent. Elle l’attend, il l’oublie. Si l’on veut comprendre la particularité de la structure et du rythme du film, il faut revenir sur la façon dont il a été tourné. En effet, Guy Gilles ne trouvant pas de producteur prêt à investir dans un long métrage de sa facture, décida que quatre courts métrages pouvaient bien faire un long. Avec le soutien de Pierre Braunberger (qui avait, entre autres, produit Jean Renoir, Marcel L’Herbier, François Truffaut, Jean-Luc Godard, ou Maurice Pialat) et de François Reichenbach, producteur de ses courts métrages, Guy Gilles réunit une pléiade de vedettes qui font des apparitions remarquables de par leur contradiction. En effet Guy Gilles, n’oubliant pas de les sublimer, leur confère une étonnante simplicité : Alain Delon, Romy Schneider, Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Léaud, ou Juliette Gréco, deviennent des évidences, et non de simples « clin- d’oeils ». Les producteurs saluent ces vingt minutes, encouragent Guy Gilles mais n’apportent toujours pas d’aide financière. C’est un directeur de cinéma intrigué par ce « court », qui l’aidera à terminer ce qui deviendra le premier « long métrage » du cinéaste, et qui ne sera pas distribué. Un film sectionné, où l’on s’attache à chaque partie, chaque instant qui meurt, puis qui renaît comme les saisons qui rythment la vie et les films de Gilles.
Notons enfin que peu de cinéastes, en période et au sortir des « évènements » d’Algérie, s’étaient permis d’évoquer cette dernière. Le petit soldat, réalisé en 1960 par Jean-Luc Godard, s’était vu censuré, abordant le sujet de front et en pleine guerre, alors que Resnais rendait compte en filigrane des différents traumatismes, des tortures notamment, dans Muriel en 1963. Né à Alger, qu’il quitte à 22 ans pour Paris, cette terre natale reste pour Guy Gilles le pays des souvenirs et de l’inspiration. La guerre, son héros en parle avec détachement, il semble presque avoir la nostalgie de l’Algérie. Une séquence qui reste toutefois difficilement explicable, notamment sur les positions que Gilles pouvait avoir sur cette guerre.

Nous découvrons ensuite le deuxième long-métrage de Guy Gilles Au pan Coupé. Là encore une histoire d’amour contrariée. Un passé peint en couleur, un présent en noir et blanc, hanté par la mélancolique Macha Méril, qui incarnait peu avant Une femme mariée de Jean-Luc Godard, et qui, fascinée par le projet de Guy Gilles, produit le film. C’est aussi la révélation de l’acteur Patrick Jouané, dont la présence, comme l’image réfléchie de son metteur en scène, jalonnera tous les films de Guy Gilles. Au Pan Coupé est pour le jeune cinéaste « le film rêvé, écrit et réalisé à rebours de toutes les modes ». Si le film, du moins les thèmes abordés (amour, mort) sont romantiques ou adolescents pour certains, il est transcendé par la vision de son metteur en scène. Marguerite Duras écrivait alors quelques mots. « Le Pan coupé de Guy Gilles est le film d’un amour. L’amour a été interrompu par le départ, la mort. Il est vécu à partir du déchiffrage obsessionnel du passé. Ce passé a été bref, il est maintenant opaque et inépuisable comme un crime. Ici, enfin, l’amour n’est pas montré à partir de l’étreinte- dans- le- lit- d’ hôtel. Son évocation par le visage – visage d’une femme cinquante fois répété, à une ombre près, un regard, un crispement sous le harcèlement de la blessure – est tout simplement admirable. Non, cela n’avait jamais encore été fait au cinéma »

Alors qu’ Au Pan Coupé recueillait les éloges de Duras, Jean Louis Bory essayait lui aussi de faire la lumière sur le cinéaste. Le célèbre critique écrit à la sortie du troisième long de Gilles, Le clair de terre, un texte qui va bien au-delà de la simple vision de ce film : « Brefs coups d’œil, plans presque aussi courts qu’un flash. Clac. Saisissant au vol la chose qui meurt aussitôt née. Par la rapidité de la prise impromptue, Gilles recherche un refus d’artifice, une spontanéité dans l’aveu, qui garantissent son authenticité. C’est tout le prix de la photo et ce n’est pas un hasard si Gilles accorde une importance, qui n’est pas que sentimentale, aux albums de famille, portraits souvenirs, cartes postales jaunies. Grâce à la pellicule, l’éphémère échappe au temps, l’oubliable échappe à l’oubli. » Les mots de Bory renvoient alors à ce que nous venons de découvrir de Guy Gilles. L’amour à la mer, Au Pan Coupé et Le clair de terre jouissent d’une beauté plastique à la fois ancrée dans le mouvement cinématographique de l’époque, et d’une modernité, elle aussi, à l’égale de ses contemporains. La composition du cadre, les couleurs des plans, sont sans conteste influencés par sa formation de peintre : il n’hésite pas à recadrer, décadrer, surexposer des images photographiques en mouvement qui trouvent leur écho en Godard, Varda, Resnais et même Bresson, et qui font de Guy Gilles, à l’évidence, un grand cinéaste.

Terminons par le documentaire de Luc Bernard tout en délicatesse, à l’image semble-t-il, de son frère, « cinéaste trop tôt disparu », comme en témoigne le titre du film. La parole est donnée aux proches et aux acteurs de Guy Gilles, qui étaient souvent les mêmes. Guy Bedos, Jean-Claude Brialy, Macha Méril, Richard Berry et bien sûr Patrick Jouané évoquent le cinéaste avec grande émotion en re-visionnant leurs apparitions, ou celles des autres dans les films de Gilles ; fait assez rare pour être souligné. Pour Jean-Jacques Zilbermann, il est le « Leos Carax de la génération », alors que pour Claude Mauriac « ce n’est pas à Visconti ou à Losey qu’on devrait confier l’adaptation de l’œuvre de Proust, mais c’est à Guy Gilles ». Enfin, le cinéaste disait : « les films sont des actes poétiques avant d’être des spectacles ». La force de Guy Gilles est dès lors d’avoir fait de ses actes poétiques, des spectacles.

En attendant avec une certaine impatience de découvrir ses autres films, un très beau site est consacré à Guy Gilles et ses films : www.guygilles.com

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