Au premier abord, le programme du film est réjouissant. Triple alliance nous invite à assister à la vengeance aussi savoureuse qu’impitoyable concoctée par trois femmes unies dans l’adversité. L’objet de leur vindicte s’appelle Mark King, un bellâtre manipulateur, escroc, imbu de lui-même et de son ascendant sur le sexe féminin. Nikolaj Coster-Waldau prête ses traits à ce mâle alpha qui a trompé chacune des trois protagonistes en leur faisant croire à son amour. Nulle empathie possible pour cette silhouette machiste un peu désincarnée, trop caricaturale pour ne pas se réduire à une pure fonction d’exutoire. En effet, c’est à la grande joie des trois héroïnes et du spectateur, unis dans une même fringale cathartique, que finiront par s’abattre sur Mark les sévices et humiliations mérités. Un peu moins inconsistants – mais à peine – s’avèrent les trois personnages féminins, Carly, Kate et Amber, respectivement incarnés par Cameron Diaz, Leslie Mann et Kate Upton.
De fait, le réalisateur a choisi son camp, résolument féministe. Le film ne s’en montre pas pour autant plus fin que ses équivalents masculins et post-adolescents. Un excès « cartoonesque » virant parfois à la scatologie rythme le film. Seule surprise : au-delà de sa verve délirante, la dramaturgie de Triple alliance semble moins se nourrir de la blessure amoureuse ou de la possible jalousie des trois femmes que du principe même de leur alliance. Là où l’amour-propre et la rivalité auraient pu les déchirer, c’est au contraire la solidarité féminine qui l’emporte, de manière aussi totale que spontanée. Pourquoi pas, mais le film ne travaille jamais à rendre un tel rapprochement crédible. Le spectateur assiste donc, amusé mais nullement convaincu, à la naissance d’une amitié certes non sans remous, mais résistante au contact des épreuves, qui parvient à souder Carly, Kate et Amber face à un monde moderne individualiste, matérialiste et cruel. Un monde où il importe d’être forte, cacher ses sentiments, retenir ses larmes, quitte à grimacer affreusement et ainsi rompre un autre impératif : celui du sourire et de la beauté. Bref, le film questionne moins les stéréotypes qu’il ne s’en amuse, avec légèreté et inconséquence.
Triple alliance souffre en fait d’une absence de point de vue, d’une fadeur étouffant le désir de subversion que le scénario feint de temps en temps. L’approche est aussi timorée en profondeur qu’elle se veut audacieuse en surface. Paradoxe qu’on peut juger regrettable, et qu’aggrave la platitude de la mise en scène. Autre défaut flagrant, le dernier tiers du film accumule les stéréotypes visuels et narratifs et provoque un certain flottement rythmique qui compromet la coda pourtant tant attendue. Enfin, le film se contente trop souvent, au nom d’un second degré roublard, de cumuler les clichés – ainsi du recours à la musique de la série télévisée Mission: Impossible (Bruce Geller, 1966-1973) qui accompagne la filature de Mark, ou de l’apparition de la Statue de la Liberté aux sons de New York, New York chanté par Frank Sinatra. On rêve de ce qu’un Billy Wilder aurait fait d’un tel sujet : le film aurait gagné en audace, vraie férocité, sens du rythme et cohérence. Au lieu de quoi, à force de démagogie et de superficialité, Triple alliance dilue son réel potentiel, aussi bien comique qu’émotionnel, dans un grand bain tiède chauffé au conformisme ambiant et aux diktats du divertissement hollywoodien.