Train de nuit (Ye che)

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A mi-chemin entre le drame psychologique, la critique sociale et le film policier, le film de Diao Yi Nan traite un sujet anodin au cinéma tout en revendiquant une assez large liberté d´expression.

Le récit se déroule dans une modeste région chinoise marquée par l’implantation de grands sites industriels et le foisonnement des bassins miniers. Ce décor est le cadre de vie de Wu Hongyan (Dan Liu), une femme entre deux âges, célibataire, sans enfants, sans famille reconnue, employée dans le tribunal local dans lequel elle veille à la bonne exécution des procédures judiciaires. Le caractère anodin du scénario s’explique par le fait que Wu Hongyan exerce à l’occasion, dans un pays où la peine de mort est toujours appliquée, le rôle du bourreau. Train de Nuit raconte ainsi l’histoire de cette femme en pleine détresse existentielle et sentimentale, n’ayant pour seul loisir que de prendre le train pour se rendre à des soirées dansantes organisées par une agence matrimoniale.

Ce scénario permet au réalisateur de conduire son film à travers deux thématiques entrecroisées : il s’agit tout à la fois de scruter le comportement d’une femme à travers le cadre de vie de son morne quotidien et de porter un regard sur le développement industriel d’une région rurale de la Chine. Le film constate l’effacement progressif de la notion d’identité : celle de Wu Hongyan semble quasiment diluée par ses appauvrissantes relations et occupations ; celle de la région disparaît à coups de bulldozer pour laisser toujours place à de nouvelles usines. Les deux thématiques ne cessent de se renvoyer de manière à exprimer un même désarroi pathétique.

L’ensemble de la représentation repose en effet sur une impression désolante de désorientation. Pour mieux rendre cette impression, le film s’appuie sur un certain effet de brouillard et sur la dissolution des coordonnées spatiales et temporelles. Aucune indication ne précise la configuration des différents lieux entre eux et la durée effective des ellipses temporelles. En conséquence, les scènes paraissent déliées les unes des autres : les raccords sont inexpressifs, désincarnés, et les plans semblent éparpillées au prix d’une logique apparemment insaisissable. Il est difficile de comprendre au début du film l’intrigue sur laquelle il repose tant les éléments semblent espacés les uns des autres et confinés à leur fonction respective. L’appartement, le tribunal et la salle de bal constituent autant de lieux déconnectés les uns des autres ; seul le train assure la jonction et fournit au spectateur le seul repère un tant soit peu tangible.

L’idée permet au cinéaste de structurer son film à l’image d’une mosaïque : les espaces s’arrangent progressivement entre eux et l’intrigue, lentement, implacablement, se met en place. Après de nombreux échecs, Wu Hongyan finit par tomber amoureuse d’un homme, Li Jun (Dao Qi). Celui-ci, malheureusement, désire en réalité se venger de la mort de son ancienne femme, exécutée par Wu Hongyan. Dès lors, ce qui donnait, au commencement, l’impression d’un calme apparent, se transforme en tempête…

Train de Nuit ressemble à certains films de Chabrol des années 70, notamment Le Boucher. Les deux longs-métrages mettent non seulement en scène l’histoire d’une femme qui, d’elle-même, se jette dans les griffes d’un prédateur, mais partagent également une atmosphère appuyée par la musique atonale et un même mécanisme principal : soulever le couvercle sur un monde profondément dérangé. A la différence près que Diao Yi Nan se veut beaucoup plus allusif et contemplatif que le cinéaste français.

De fait, le réalisateur chinois se refuse de représenter la violence frontalement et préfère la capter de biais, par métonymie. Le plan des gants blancs en flammes, par terre, agencé à la place d’une scène d’exécution, est significatif. La violence se répand par à coups, subrepticement, indirectement. Elle se propage derrière l’écran et contamine le visible.

Perte de l’identité, cloisonnement de l’espace et du temps, violence refoulée. Les nombreux thèmes abordés par Diao Yi Nan sont les reflets d’un cinéma chinois suffisamment cohérent pour pouvoir traiter avec finesse de difficiles problèmes sociaux et psychologiques. On peut néanmoins regretter deux points essentiels : d’une part, les relations qu’entretient Wu Hongyan avec certains personnages secondaires, sa voisine en particulier, font parfois office d’anecdotes et n’apportent rien de précis au récit ; d’autre part, le thème de la sexualité ne s’accorde pas à la tonalité générale du film. Si celui-ci affiche une certaine propension à ne pas représenter la violence telle quelle, pourquoi dénuder l’âpre sexualité des personnages en plein cadre ?

Train de Nuit est un film prometteur qui révèle le talent de Diao Yi Nan. N’ayant auparavant réalisé qu’un seul long-métrage, le cinéaste chinois semble à la recherche d’un style original et personnel qu’il est sur le point d’élaborer pleinement.

Titre original : Ye che

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Durée : 94 mn


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